Notre histoire à nous, ça serait ça : Le retour des antihéros
Debbie Lynch-White et Jean-François Guilbault s’illustrent dans Notre histoire à nous, ça serait ça, cinq courtes pièces ayant comme seule contrainte le physique des deux acteurs.
Samsara Théâtre présente, jusqu’au 2 novembre, Notre histoire à nous, ça serait ça, au Salon particulier, petite salle multifonctionnelle dans une église du boulevard Saint-Joseph, lieu parfait pour découvrir l’univers qu’ont concocté la metteure en scène Lou Arteau, et les acteurs principaux Debbie Lynch-White et Jean-François Guilbault. Ces derniers ont invité, à l’été 2011, cinq auteurs à s’inspirer de leur physique respectif et aux antipodes (Lynch-White est une grande costaude aux cheveux longs et blonds, tandis que Guilbault est un petit maigrichon aux cheveux hirsutes bruns et frisés) pour créer cinq textes qui seront joués par les principaux intéressés.
Simon Boulerice, Rebecca Déraspe, Florence Longpré, Mathieu Quesnel et Jocelyn Roy ont répondu à l’appel en livrant respectivement Windex, Bonne fête, pis adieu, Sylvie aime Maurice, Un numéro ben normal et Grosse. Mercredi soir, les cinq pièces étaient jouées dans un ordre un peu différent. La soirée s’ouvre sur Bonne fête, pis adieu, de Rebecca Déraspe où on retrouve Steve et Marie-Ève, un tueur à gage et une caissière de banque. Cette dernière célèbre son anniversaire ce jour-là, mais alors qu’elle veut commander une escorte pour célébrer, c’est plutôt le tueur à gage un brin Tanguy qui sonnera à sa porte. Des suites de la mésentente initiale naîtra l’une des meilleures saynètes de la soirée, où humour et sensibilité se mêleront au jeu précis et séquencé des acteurs.
Aux interludes, les pièces du groupe surf montréalais The Madafakaz nous sont balancées – surtout la très agréable Baboushka -, alimentant l’atmosphère du théâtre underground qui anime l’événement.
Suivait Grosse de Jocelyn Roy, où l’on découvrait l’histoire de deux jeunes adultes qui furent un jour de (trop) jeunes parents et qui, par habitude, partagent leur vie depuis plusieurs années, entre les couches et les sacs de chips. Manon et Fabien s’aiment et se détestent (l’un plus que l’autre), mais on peine à pénétrer leur univers. Doublé d’une fin un peu abrupte qui cadrait plus ou moins bien avec le rythme de cette courte pièce, Grosse n’est pas parvenu à faire ressortir le meilleur des deux protagonistes.
Le rythme a repris facilement avec Un numéro ben normal, de Mathieu Quesnel. Incisif, trop empreint de vérité pour être anodin, ce «numéro» qui s’annonce fatal met en scène deux «surtout-pas-humoristes» qui prennent en otage le public et la présentatrice du spectacle, Annie (Milène Leclerc). Le duo nous mènera au suicide collectif pour la cause, dans un jeu physiquement exigeant, provoquant un changement de personnages assez puissant chez les deux acteurs qui penchent désormais dans la violence à peine contenue. Franchement, Jean-Marc et Karine ont les mots (et les accessoires) pour réveiller un public réticent.
Les deux acteurs poursuivent ensuite avec Sylvie aime Maurice, une rencontre improbable sur fond d’agression sexuelle la plus ridicule et incompréhensible de l’histoire de l’univers. Histoire d’amour touchante, entre un jeune adulte franc, malencontreusement violent mais surtout poète à ses heures, inspiré des grands de la Renaissance, et une grande femme bruyante «qui n’a jamais de fun», Sylvie aime Maurice est empreinte de sincérité et de malaise. Un beau moment où l’on saisit que «les antihéros sont de retour», plus forts que jamais.
Enfin, c’est Windex de Simon Boulerice qui vient clôturer le tout, avec Jean-François Guilbault et Debbie Lynch-White qui reprennent leurs noms respectifs et leurs malheurs de comédiens qui jouent dans des pièces de théâtre pour enfants et tentent leur coup dans des auditions pour des publicités télévisées. Lynch-White, qui vient de revoir Thelma & Louise, aimerait bien que Guilbault soit sa Louise pour boire des shooters de Windex et fêter le fait que leurs vies ne vont pas bien. Qui aurait cru que ce produit ménager les ramènerait à leurs souvenirs d’Hedda Gabler et d’Oedipe, rôles qu’ils ont tenu à l’école de théâtre? Fortement inspiré des déboires des jeunes acteurs, ce texte de Boulerice permet tout de même aux néophytes de l’école de s’y retrouver, tant le jeu de Guilbault et Lynch-White est transparent de réalisme.
En bout de ligne, ni Lynch-White ni Guilbault ne semblent aussi conscient de leur corps que le propose les différents textes mis en scène dans Notre histoire à nous, ça serait ça. Si tout semble prévu pour mettre en évidence les extrêmes de leurs corps, c’est lorsque l’histoire prend le dessus sur le physique que le puzzle se met en place.
Jusqu’au 2 novembre au Salon particulier (4851, De Bordeaux).
Du mardi au vendredi à 19h, et les samedis à 16h et 20h.