De Rage : Le ballet de l'impossible
Scène

De Rage : Le ballet de l’impossible

Jeune créateur dont le nom circule déjà beaucoup même si cette pièce, De Rage, est sa première véritable production, Bruno Dufort compose une quête d’idéal qui se danse et se joue dans un amalgame d’influences. Prometteur mais pas assez affranchi du travail de ses mentors.

Bruno Dufort s’est fait remarquer l’an dernier à l’École nationale de théâtre, où on l’a exceptionnellement accueilli en résidence: pas tout à fait étudiant du programme de mise en scène, il a été invité à créer dans les murs de l’institution un spectacle en bénéficiant de ses ressources et de ses professeurs. C’est là que la rumeur à son sujet a commencé à grandir. Son spectacle Laboratoire Garcia, créé avec le comédien Patrick Hivon à partir d’Agamemnon : À mon retour du supermarché, j’ai flanqué une raclée à mon fils, de Rodrigo Garcia, était effectivement porteur d’un souffle puissant.

Sans les mots de Garcia, en ne s’appuyant que sur lui-même, il offre aujourd’hui un objet scénique inclassable, entre danse, théâtre et performance, aux contours imprécis et peu personnels, mais qui bénéficie d’images fortes. Sur papier, il dit vouloir proposer un spectacle hybride sur la quête du bonheur qui se heurte aux contraintes du réel. En pratique, avec ses mouvements d’envol, ses corps soulevés puis brutalement aplatis au sol, ses paroles avortées avant d’avoir été prononcées, son décor de ballons constamment menacés d’implosion (une autre splendide scénographie de Max-Otto Fauteux), ses visages faussement souriants puis déconfits par un voile de noirceur, le spectacle évoque plutôt une certaine quête d’extrême, d’impossible, d’au-delà, ou d’utopie, qui ne semble jamais se réaliser mais qui semble néanmoins infatigable.

Une œuvre moins pessimiste qu’exagérément romantique, pleinement fougueuse, remplie d’espoir, fût-ce-t-il désenchanté. Or c’est aussi un propos un peu mince, qui se déploie à répétition à travers le même crescendo dramatique. Il trouve écho dans la belle musique de Mykalle Belinski, qui chante de sa douce voix ce désir du plus-grand-que-soi.

On reconnaît là des motifs de l’œuvre de Dave St-Pierre et de Virginie Brunelle, de même que, dans la gestuelle et dans la narrativité du spectacle, des emprunts à Mélanie Demers. Dans la colère qui happe à l’occasion les corps se lisent aussi les influences européennes: Jan Fabre, Rodrigo Garcia, Angelica Liddell.

Un chouette amalgame, qui ne peut que provoquer une esthétique forte, mais elle sera bien plus puissante lorsque toutes ces influences auront été mieux digérées et pourront se fondre dans un travail plus personnel.

Mentionnons aussi que Bruno Dufort sait s’entourer: en plus des talents de Max-Otto Fauteux et des conseils dramaturgiques d’Enrica Boucher et Marie Brassard, il a réuni une exceptionnelle équipe d’acteurs-danseurs qui évoluent tout naturellement dans un tel univers. Alexis Lefebvre et Julien Lemire, figures récurrentes de la scène interdisciplinaire, à l’aise dans le jeu comme dans le mouvement et parfaitement rompus aux codes de la création polyscénique, sont dans leur élément et montrent encore une fois l’étendue de leur talent.