Scène Southside : C'était ça le 83
Rap-Hip-Hop

Scène Southside : C’était ça le 83

T-Mo de Taktika revient sur le parcours du clan toutes étoiles qui a mis le Southside sur la mappe du hip-hop québécois.

«Pagail préparait un mini-album et il m’a appelé pour me dire qu’il aimerait réunir les plus gros artistes de la Rive-Sud et que ça allait s’appeler 83, parce que tous les numéros de téléphone de la Rive-Sud commencent par ces chiffres-là, se rappelle T-Mo de Taktika au sujet de la naissance du mythique clan, initiée par le regretté rappeur. 2Faces, B.I.C., Canox et moi, on a enregistré la chanson 83 avec Pagail, sans s’attendre à ce qui allait arriver. On le faisait vraiment pour notre chum. On est allé porter ça aux Arshitechs du son à CHYZ, on a pesé sur play et notre carrière a changé. On faisait des spectacles et les gens demandaient la track, même à Québec! Quand on a vu ça, on s’est dit: faut faire un album complet.»

C’est grâce à ce morceau homonyme, «plus mortel que le débarquement de Normandie» (pour citer le verse de B.I.C.), que le 83 envahit en 2001 les ondes de MusiquePlus, ce qui contribuera largement au succès de Hip Hop 101, premier album du redoutable crew toutes étoiles réunissant les membres de La Constellation (2 Faces et Onze), Canox et le trio Taktika (T-Mo, B.I.C. et Ben), qui venait tout juste de lâcher dans les bacs son propre disque inaugural, Mon mic, mon forty, mon blunt (Ben accrochera son micro en 2002). Alors que Sans Pression, Yvon Krevé et Muzion avaient dépeint la réalité des quartiers chauds de la métropole, les membres du 83 comptaient parmi les premiers rappeurs blancs et issus du Québec extra-514 (Lévis) à accaparer l’écran cathodique. «On était des gars de la ville, mais notre ville, ce n’était pas Montréal, observe T-Mo. Les jeunes des régions pouvaient peut-être davantage s’identifier à ce qu’on décrivait.»

83 vs. ADISQ

C’est fort de la confiance de ses 12 000 albums vendus, un score prodigieux pour un genre marginal, que le 83 se pointe au gala hors d’ondes de l’ADISQ en 2002. Dubmatique, première vedette populaire du rap québécois alors en considérable perte de vitesse, récolte pourtant la statuette de l’Album de l’année – Hip-hop, une décision que les MC du Southside encaissent comme une insulte, méprisant camouflet administré par une industrie ignorante des réels enjeux de leur scène. «S’il y a une fois où on l’aurait mérité, c’est cette année-là, peste toujours T-Mo. On remplissait des salles à Trois-Rivières, à Sherbrooke, à Québec, pendant que Dubmatique annulait tous ses shows. On le voyait sur le terrain. En sortant du gala, on voulait virer le camion de CKOI à l’envers, le couvrir de stickers du 83 et crisser notre camp à Québec. Comme j’étais peut-être le plus raisonné de la gang – 2Faces et B.I.C. étaient assez hardcore – j’ai dit « calmez-vous les boys ». C’est en jasant sur le chemin du retour qu’on a eu l’idée de débarquer en plein dans le gala du dimanche et de parler à la face de l’industrie. Personne n’allait le faire si on ne le faisait pas.»

Le 83 loue une limo Hummer dans laquelle prendra place une meute d’une trentaine d’amis et se rend au Théâtre Saint-Denis revendiquer devant le Québec entier que le vainqueur dans la catégorie hip-hop soit élu par un jury de spécialistes, comme c’était déjà le cas dans la catégorie jazz, et non plus par tous les membres d’une association largement analphabètes en matière de rap. «2 Faces, c’était notre running back. Il fallait qu’il se rende dans la zone des buts, jusqu’à Guy A. Lepage [l’animateur]. On ne savait pas comment ça allait virer, quel genre de sécurité il allait y avoir. Finalement, il n’y avait pas vraiment de sécurité. Il n’y avait que deux gars et on était trente. Guy A. l’a laissé parler.» Les rappeurs que des milliers de jeunes Québécois adulaient jusque-là dans la noirceur de leur sous-sol apparaissent pour la première fois à heure de grande écoute sous la lumière du salon de leurs parents. L’ADISQ modifiera en 2003 les règles de votation dans la catégorie hip-hop.

J’fais ce que j’peux

C’est avec amusement que T-Mo jette un regard dans le rétroviseur sur ces années de succès, de fête et d’insouciance. En 2007, l’éternel Lévisien accueillait son premier enfant et son collègue B.I.C. ressortait changé à jamais de désintox, deux bouleversements qui allaient contraindre le duo à revoir ses priorités et à troquer ces sources de motivation qu’étaient le forty et le blunt pour des objectifs plus viables. «Notre identité aujourd’hui, c’est de raconter ce qu’on a traversé. On sait qu’on ne gagnera jamais complètement notre vie avec le hip-hop, mais on essaie de changer les choses avec les outils qu’on a. On a trouvé un sens à notre musique», rappelle-t-il en évoquant un titre percutant comme Désarmé jusqu’aux dents, écrit pour faire la prévention du suicide.

À défaut de pouvoir monter la tournée-retour du 83 à laquelle il rêve (le dernier album de la bande, une compilation, date de 2009), T-Mo espère parvenir à convaincre ses anciens acolytes Onze, 2 Faces et Canox à sortir de leur retraite pour un soir seulement, le 22 novembre prochain sur la scène de l’Impérial, où Taktika célébrera pour une deuxième fois son 15e anniversaire (il l’avait déjà fait au Festivent en 2012), en plus de marquer le 10e anniversaire du site web HHQc.com. «Ben a déjà confirmé sa présence. Avec les autres, on est en négociations.»

HHQc.com fête ses dix ans avec Taktika, Mauvais Acte, Farfadet, Webster et Bobby One

Le 22 novembre à 20h à l’Impérial