Visage de feu : Au brasier de la normalité
Scène

Visage de feu : Au brasier de la normalité

Après Moncton et Ottawa, c’est au tour de la ville de Québec de recevoir en ses murs Visage de Feu, une production dirigée par Joël Beddows, metteur en scène et directeur du département de théâtre de l’Université d’Ottawa. 

C’est devant le public du Théâtre Périscope que prendra vie l’œuvre flamboyante du dramaturge allemand Marius von Mayenburg. Interprétée sur scène par une distribution solide réunissant des comédiens de Québec et de l’Acadie, la pièce redéfinit la famille bourgeoise dans ce qu’elle a de plus violent et chaotique. Au cœur du brasier, Olga et Kurt, frère et sœur adolescents, nourrissent un profond dégoût pour leurs parents. Animés de haine et de révolte, ils en finissent par se réfugier dans une relation incestueuse, tels deux amoureux impétueux répandant leur fougue incendiaire.

Cela fait trois ans que Beddows et son équipe ont commencé à travailler sur le projet, un intérêt qui aura pourtant pris racine bien plus longtemps auparavant. «C’est un texte que Denis Marleau m’avait fait lire il y a dix ans, que je voulais d’abord monter pour le CNA (Centre National des Arts)», explique le metteur en scène. Malgré que l’idée de départ ait changé en cours de route, il a toujours gardé le texte en tête.

Si la pièce a été montée partout en Europe, elle demeure à ce jour très peu connue du public nord-américain. Afin de rendre justice au texte original, le metteur en scène et son collègue Frank Heibert ont traduit et adapté le texte en entier. Une œuvre qui, tout en étant profondément ancrée dans la culture allemande, trouve aisément des résonances chez nous. Économe du langage, le théâtre de von Mayenburg puise dans la tradition du conte de fées et situe l’action dans un environnement résolument rural. «Ce sont des éléments que l’on retrouve dans la dramaturgie québécoise, que l’on pense à Daniel Danis, à Aurore l’enfant martyre ou même à certaines pièces de Larry Tremblay», souligne Joël Beddows. «C’est avant tout un texte occidental. N’importe quelle société post-industrielle peut se reconnaître là-dedans.» Une société sur laquelle la pièce jette un vif regard critique, à travers la parole des deux enfants. Plus que l’expression d’un fossé générationnel ou d’une révolte juvénile, la relation effervescente que développent les deux protagonistes, ce n’est ni plus ni moins que le début de la déchéance. «Ce sont des enfants qui n’ont pas reçu assez de balises, qui ont été laissés à eux-mêmes et qui cherchent des dogmes auxquels s’accrocher. […] Ce qu’on voit dans la pièce, ce sont les conséquences d’un mal qui habite la famille.» La famille avec un grand F, puisqu’elle agit ici comme une métaphore de la collectivité, en carence de réflexion idéologique.

Visage de Feu se veut donc un théâtre diagnostique, où la forme est extrême et pourtant poétique. «Ce n’est pas une pièce qui parle d’inceste, ce n’est pas une pièce qui parle de pyromanie, ni de violence […] On y présente tout simplement les conséquences d’une absence de projet de société, d’une absence d’accompagnement», conclut le metteur en scène. D’un abandon, donc. Une réalité franche à l’intérieur de laquelle le spectateur peut se situer. Aux dires de l’auteur lui-même, la pièce parle du danger de la normalité: un phénomène on ne peut plus universel, au cœur d’une dramaturgie qui repousse les limites de la décadence.