Entrevue avec Suzanne Lebeau : Gretel et Hansel: une affaire de fraternité
Scène

Entrevue avec Suzanne Lebeau : Gretel et Hansel: une affaire de fraternité

Il ne faut jamais prendre les enfants pour plus imbéciles qu’ils le sont. C’est la mission que se donnent depuis toujours Suzanne Lebeau et Gervais Gaudreault, qui revisitent ces jours-ci l’histoire d’Hansel et Gretel de manière totalement contemporaine, pour les 6 à 9 ans.

Leur spectacle s’intitule Gretel et Hansel. On pourrait voir dans cette inversion des noms un postulat féministe. «Ce n’est pas exactement ce que je veux souligner, explique l’auteure Suzanne Lebeau, mais j’ai toujours pensé que Gretel était la plus vieille, qu’elle avait été privée de sa soupe au moment où son frère est né, et que, dans leur histoire, ce serait la tache originelle, le premier conflit. Pourtant, lorsqu’elle a l’occasion de faire cuire son petit frère et de s’en débarrasser à tout jamais, elle ne le fait pas. C’est la richesse de leur relation fraternelle qui m’intéresse, les conflits inhérents à cette fraternité et la tendresse qui, néanmoins, s’en dégage.»

«Depuis toujours, poursuit-elle, mes protagonistes sont des garçons. Peut-être qu’inconsciemment, j’ai toujours voulu m’adresser aux garçons, qui sont moins sensibles au théâtre à un si jeune âge. Mais je pense qu’il est temps d’observer certains récits classiques, universels, avec un œil féminin.»

Le récit original d’Hansel et Gretel est souvent interprété comme une fable sur l’écart entre les riches et les pauvres, à partir du contraste entre la maison modeste des enfants et la maison pleine de bonbons de la méchante sorcière. Peu stimulée par cette dimension sociale de l’œuvre, Suzanne Lebeau a préféré observer les tiraillements entre le frère et la sœur. «Il est très rare, dans les contes, que deux personnages principaux se retrouvent à égalité dans leur quête. Gretel et Hansel doivent se dépasser, se trouver, se déchirer à tout jamais, et le drame de l’un n’est pas plus important que le drame de l’autre. Mais ils n’arrivent tout de même pas à le faire ensemble. Je ne pense pas qu’il y ait une véritable entraide entre eux. Chacun prend une décision pour se sortir de son propre pétrin, même si, à travers l’épreuve se développe entre eux un rapport fraternel plus soutenu.»

Fi de la sociologie, donc: l’œuvre est trop intéressante d’un point de vue psychologique, ou, disons, à une échelle morale. Si elle n’est pas adepte des célèbres interprétations psychanalytiques de Bruno Bettelheim, centrées sur l’angoisse de l’enfant, Suzanne Lebeau se sent proche de la pensée de Pierre Péju, qui a analysé la place active de la petite fille dans les contes et qui a mis en lumière l’ambiguïté et les zones d’ombres de ces histoires plutôt que de les cantonner dans des interprétations psychanalytiques (qu’il juge réductrices).

Et la mise en scène? «Gervais exploite de façon systématique, obsessive, presqu’enragée, l’un des éléments de la pièce, en construisant sa mise en scène à partir d’un simple élément de décor, la chaise haute, qui est multipliée. Les enfants adhèrent à cette proposition comme je l’ai rarement vu dans ma carrière, même si elle est plutôt radicale. Ils ont une écoute fabuleuse.»

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Gretel et Hansel est à l’affiche de la Maison Théâtre, à Montréal, jusqu’au 2 novembre, puis en mai 2014 au Théâtre français du Centre national des arts à Ottawa