A brimful of Asha : Les Anciens et les Modernes
Scène

A brimful of Asha : Les Anciens et les Modernes

Véritable querelle des Anciens et des Modernes, A brimful of Asha, spectacle en provenance de Toronto, oppose un fils et sa mère d’origine indienne autour d’un mariage arrangé qui n’aura pas lieu. Une joute verbale souvent anecdotique mais tout de même porteuse de féconds questionnements moraux et de réflexions fertiles sur l’exil et la famille.

Le théâtre torontois n’a pas toujours bonne presse au Québec (il est jugé conservateur et peu inventif). Et ce, malgré la grande méconnaissance de ce théâtre par les Québécois. Mais les deux dernières visites torontoises ont montré que, dans un certain registre de théâtre intimiste et autofictionnel, axé sur des joutes verbales opposant virulemment des gens très proches, les artistes torontois peuvent créer des objets scéniques de haute tension. Explosifs tout en demeurant ludiques, s’ancrant dans l’immédiateté et l’improvisation sans négliger la construction d’une progression dramatique, le spectacle Brimful of Asha, de Ravi Jain et sa mère Asha, rappelle un peu Winners & Losers, de James Long et Marcus Youssef, vu au dernier FTA. Dans les deux cas, les mêmes ingrédients: un conflit dans lequel deux personnes se heurtent aux contrastes de leurs valeurs alors qu’elles se croyaient liées par une indélogeable compréhension mutuelle.

Puisque tout repose sur les mots, c’est le degré zéro de la mise en scène: Ravi Jain et sa mère (qui n’est pas comédienne mais qui joue son propre rôle avec sincérité et amusement) prennent place à une table sur laquelle sont déposées des samosas que le public aura le plaisir de manger avec eux. Et, vraiment, qui n’aime pas les samosas?

S’adressant au public sans fioritures, ils se mettent à raconter l’épique discorde qui divisera mère et fils, entre Toronto, Bombay et Delhi, autour d’un mariage arrangé que le fils répugne et que la mère, malgré le fait qu’elle vive à Toronto depuis des lunes, continue à vouloir orchestrer par respect des traditions, par pression sociale et parce qu’elle ne croit pas aux folles lubies d’amour que son fils utilise comme excuse pour repousser la date de son mariage.

Avoir 27 ans et ne toujours pas avoir trouvé la femme qui fera de vous un noble père de famille, dans la culture indienne, c’est la honte. Même en 2013, même dans une Inde en pleine mutation et même quand on est expatrié au Canada! Les arguments de la mère et du fils sont irréconciliables, mais en les exposant ainsi publiquement, ils proposent un regard intime sur cette culture traditionnaliste, dévoilant les coulisses, les mensonges, les manigances des familles pour que l’union de leurs enfants soit conclue, comme on négocie l’achat de marchandises à risque. Les raisons traditionnelles invoquées par la mère pour boucler le mariage ne convaincront pas l’Occidental moyen, mais on pourra y voir un intéressant parallèle avec le fonctionnement des agences de rencontre sur le web, ce que souligne avec justesse Ravi Jain.

Et, surtout, la joute verbale met en lumière l’insoutenable pression sociale avec laquelle doivent composer les parents indiens. La vie dans une culture qui valorise encore le concept de communauté a ses avantages et ses revers: la solitude vous est épargnée mais pas à n’importe quel prix. Gare à vous si vous vous éloignez des codes très stricts qui régissent la vie sociale. On apprend là rien de neuf, bien sûr, mais l’incarnation intime que propose Ravi Jain n’est pas sans intérêt et invite le spectateur à réfléchir à son propre système de valeurs et à la manière dont il résonne dans son environnement.

Notons que Ravi Jain signe également ces jours-ci la mise en scène de Lion in the Streets de Judith Thompson, une production des finissants de l’École nationale de théâtre présentée au Monument-National.

Ce spectacle est présenté en anglais, sans surtitres.