La Bête à la Salle Fred-Barry : Maudite intégrité
Ces jours-ci, Jean-Guy Legault traduit, adapte et met en scène la création primée et survoltée de David Hirson, La Bête, à la Salle Fred-Barry.
Créée en 1991 par le New-Yorkais David Hirson, La Bête a connu un franc succès régional aux États-Unis, malgré une mauvaise réception sur Broadway, récoltant public et honneurs, pour sa critique de la critique du language, son côté incisif jouissif et sa grandiloquence assumée. Le Nouveau Théâtre Urbain, en collaboration avec le Théâtre du Vaisseau d’or et le Théâtre Denise-Pelletier, s’attaque à l’oeuvre et l’adapte de manière judicieuse à nos remises en questions actuelles: le populaire supplantera-t-il la dramaturgie classique? Le language familier a-t-il usurpé le «verbiage» dont certains créateurs se montrent coupables?
Campée en 1654, alors que le Prince de Conti souhaite ajouter un membre à la troupe dirigée par Élomire dont il est le protecteur, La Bête nous confronte à la venue de Valère, un artiste populaire qui plaît au Prince. Ce dernier, insatisfait de l’élitisme des pièces d’Élomire, souhaite ajouter un brin de fantaisie et d’accessibilité au théâtre produit par la troupe. Valère, imbuvable acteur-metteur en scène-auteur-génial-self made man-et plus encore, et Élomire ne s’entendent évidemment pas sur la direction créative à prendre. La lutte qui s’en suivra – dans une joute oratoire à sens unique – entre les deux bonhommes aux antipodes prendra des allures de comédie contemporaine inspirée de l’univers de Molière, où le verbe est proportionnellement pompeux à la volubilité des principaux intéressés.
C’est flamboyant comme le genre le veut, mais le tout manque un peu de tonus à certains endroits, laissant le spectateur vivoter dans le discours sans fin de Valère, ou dans la venue un brin ennuyante du Prince de Conti, bien que certains interprètes se distinguent. Vincent Côté est magistral, en Valère aux allures de Jack Sparrow (les films Pirates des Caraïbes), alors qu’il embobine ses interlocuteurs avec sa fausse modestie et sa «maudite intégrité» qui lui fait révéler le fond de sa pensée bien qu’elle heurte les autres.
Jean-Guy Legault se révèle mieux dans son rôle de metteur en scène que dans celui d’interprète, dans le cas présent, lui qui signe une superbe adaptation du texte de Hirson, mais qui incarne un Prince de Conti plutôt absent et caricatural que sérieusement épris du talent de Valère et maître de la troupe de théâtre. Jean-Marc Dalphond, quant à lui, s’illustre aussi en la personne d’Élomire, et rappelle autant la profondeur de Guy Nadon qu’un côté humoristique et sarcastique assez plaisant. Côté et Dalphond proposent d’ailleurs un jeu physique fort réussi, en première partie, alors que Côté cède aux frasques de nouveau dans la seconde partie, accompagné de la troupe frivole et conquise, dans un délire accompagnant La parabole des deux garçons de Cabrales, création de Valère présentée au Prince. Si on réussit ici le pari du divertissement, de l’humour et de la langue, on s’accroche parfois dans l’exécution qui, si elle est tout de même bien réglée au quart de tour, manque parfois de tonus et brise le texte qui marque, de ses rimes assassines, le rythme de La Bête.
Jusqu’au 16 novembre à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier. Du mardi au samedi, à 19h30.