Sofia Asencio / Introduction à l'introduction : Au commencement, était le geste
Scène

Sofia Asencio / Introduction à l’introduction : Au commencement, était le geste

De retour à l’Agora, la Catalane Sofia Asencio s’appuie sur Aristote dans Introduction à l’introduction pour titiller nos perceptions et questionner notre vision du corps.

En 2008, on avait découvert avec bonheur la chorégraphe-interprète Sofia Asencio et son complice, le dramaturge Tomás Aragay, avec les décibels et les images choc de Volumen II où ils exploraient les limites du corps. Les revoilà enfin avec un solo tout en sobriété dont le mouvement est à la fois le thème et la matière.

«Aristote est le premier à avoir théorisé sur le mouvement, explique la Catalane. Selon lui, tout être est soumis à deux forces: l’acte et la puissance, et le passage de l’un à l’autre, c’est le mouvement. Après avoir lu sa Métaphysique, nous avons commencé un travail très basique et austère à partir d’un corps nu dans l’espace et dans le silence, nous concentrant sur cette idée aristotélicienne d’un premier regard sur les choses, sans plus de spéculations ni de volonté de retracer l’histoire de la philosophie.»

Un premier regard sur le corps et sur le mouvement qu’Asencio exécute en précision et en lenteur, dans un travail de sol où l’organicité du corps est exaltée et où le frottement et la résistance illustrent à la fois ce chemin de l’acte à la puissance et l’obstination de l’artiste à tenir le cap contre vents et marées. Car le contexte de création d’Introduction à l’introduction est celui d’une Espagne en crise, caractérisée dans la sphère culturelle par la désagrégation des systèmes de soutien et de diffusion.

«Cette période difficile m’a amenée à me demander ce que je pouvais faire pour continuer à évoluer, à mieux comprendre ce que je faisais et j’ai commencé des études de philosophie, commente Asencio. Dans mes derniers projets, il y a beaucoup de rétro-alimentation entre la danse et la philosophie. Toutes deux partagent la même démarche ontologique: se questionner sur soi-même et sur ce que l’on fait. D’où, aussi, l’idée de retour en arrière vers quelque chose d’initial et le jeu d’introductions successives dans la pièce.»

Ainsi, une première danse se trouve introduite par un texte d’Aristote, lui-même ensuite introduit par un autre texte, que l’Espagnole s’est entraînée à livrer en français pour qu’on en saisisse bien le contenu et la densité. La pièce comprend aussi un cours poème accompagné d’une musique de Nina Simone. Pour le reste, elle évolue dans le silence, sur un sol noir brillant comme la laque où se reflète son image.

«La musique du corps sur le sol et la lenteur du mouvement, avec quelques changements brusques, ont quelque chose d’hypnotique et provoquent le sentiment d’entrer dans un autre état sensoriel. Ils mettent comme une loupe sur les sensations. À cela, s’ajoute la scénographie, qui dédouble le corps et, surtout dans les passages au sol, en fait une forme difficile à reconnaître qui oblige à reformuler le regard.»

Une proposition fascinante dont la dramaturgie s’est développée dans un dialogue permanent entre Asencio et Aragay et qui se prolonge dans le travail en cours d’une nouvelle œuvre où le couple s’intéresse aux incidences des nouveaux modes de communication sur la disparition de certains mots et sur la perte du pouvoir d’action qu’elle induit pour l’humain. Des artistes engagés et inspirants à découvrir absolument.