Solos Festival : Cinq questions pour cinq solistes du théâtre
Scène

Solos Festival : Cinq questions pour cinq solistes du théâtre

Le solo théâtral. Une manière de résister à la clinquante industrie du spectacle en faisant œuvre de dénuement, mais également une forme apte à l’expression des maux d’une société individualiste, fragmentée et désorientée. Regard sur cinq artistes programmés dans le tout premier festival SOLOS, au Théâtre MainLine jusqu’au 9 novembre.

Alexa-Jeanne Dubé / Apocalypse me / 6 novembre à 21 h
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Crédit: Jean-Fred Bédard

VOIR: Le documentaire Une vie pour jouer, sur la grande actrice Isabelle Huppert, vous sert de point de départ pour explorer le thème de l’autodestruction. En quoi les réflexions sur le jeu d’acteur vous mènent à un solo sur la douleur?

Alexa-Jeanne Dubé: Dans ce film, Isabelle Huppert raconte la douleur et l’intensité avec laquelle elle est confrontée à sa propre disparition chaque fois qu’elle incarne un personnage. Elle parle de dépossession de soi, du vertige de soi qui se produit lorsqu’elle cesse d’incarner des personnages. Elle dit: «Le théâtre, c’est comme un hold-up, c’est comme une perte de soi. On n’a plus de corps, plus de cerveau, on appartient corps et âme à ses personnages. On est dans un espace émotionnel si dense qu’on ne veut pas ou qu’on ne peut pas en sortir.» C’est ce flou identitaire qui m’intéresse et que je trouve douloureux: il évoque pour moi une perte de repères si dense qu’elle ne peut que se vivre dans l’autosabotage, dans la destruction, dans la douleur.

 

Alexandre Dubois / Grapevine / 7 novembre à 19 h

alexandre_duboisVOIR: Votre pièce traite d’alcoolisme et de relation père-fils sur fond de dépendance, en abordant en filigrane les conflits intergénérationnels qui définissent notre société. Vous êtes dans un théâtre de l’intime, en partie autofictionnel, mais le texte s’appuie sur un fascicule de l’organisme Alcooliques Anonymes. Parlez-moi de cette source d’inspiration.

Alexandre Dubois: Grapevine est le nom d’un magazine bimensuel publié par les AA et, dans le numéro dont je m’inspire, il y a un dialogue entre un père et son fils, sur les conséquences de la dépendance à l’alcool du père dans la vie de son fils. Il y a d’abord, à travers ce dialogue, un regard sur l’enjeu de la transmission. Le père et son fils ne se ressemblent pas mais sont tout de même liés par de nombreux points communs, ce qui permet de réfléchir, à une échelle intime autant qu’à une échelle sociale, aux conflits intergénérationnels et à la question de l’héritage. Le père va-t-il transmettre son alcoolisme au fils? Il y a de bonnes chances que oui, mais je voulais aussi explorer l’enjeu du lègue de manière plus large, en montrant la détresse des proches de l’alcoolique mais aussi leurs autres questionnements sur leur héritage familial.

 

Stéfan Cédilot / Zeppelin c’t’un cover band / 8 novembre à 21 h

Stefan-Cedilot-fullVOIR: Vous avez fait une maîtrise sur U2 et votre culture musicale est encyclopédiste: ce spectacle vous permet de dévoiler à quel point, selon vos recherches, Led Zeppelin a réinventé le rock en copiant les standards du blues. Peut-on parler de plagiat?

Stéfan Cédilot: Je ne dirais pas ça comme ça, mais les amateurs de rock, sauf ceux qui sont vraiment pointilleux, ne mesurent pas bien l’influence du blues dans la musique de Led Zeppelin et c’est important de le dire, parce que ce band a été très important dans l’histoire du rock et ce serait une imposture de leur donner tout le crédit pour leur musique. Le spectacle se présente sous forme de conférence, avec beaucoup d’extraits musicaux, et je pense qu’au-delà du cas Zeppelin, il permet de réfléchir aux superpositions d’influences dans la musique pop et rock en général, et de mesurer à quel point rien n’est neuf dans la musique que nous écoutons aujourd’hui. Je ne suis pas obsédé par le droit d’auteur, il n’existe pas de rock aujourd’hui qui ne soit pas une relecture de la musique d’hier et qui ne reprenne pas des éléments venant du travail d’autres musiciens. La musique appartient à tout le monde et elle évolue en empruntant des morceaux à d’autres pour les faire progresser. J’ai envie, toutefois, de décortiquer ces réseaux d’influence. C’est passionnant.

 

Alain Mercieca / Adopted at death / 9 novembre à 21 h

Alain-Mercieca-Author-Photo-300x248VOIR: Selon vous, la mort de nos proches ne devrait pas être envisagée de manière sombre et torturée et pourrait même devenir un moment de réjouissance. Pourquoi?

Alain Mercieca: Je pense en effet que la mort devrait nous mener plus naturellement à célébrer la vie, ou en tout cas à adopter une posture d’autodérision. En ce sens je m’inspire beaucoup de Woody Allen, de cet humour qui relativise l’absurdité de l’existence. Dans ses films, l’angoisse face à la mort est omniprésente mais elle ne triomphe jamais sur le plaisir, sur les joies du sexe, de l’orgasme, du rire. La pièce s’articule aussi un peu autour de la pensée de James Baldwin, génial écrivain afro-américain qui a vécu à l’époque des tensions raciales aux États-Unis et qui a lutté aux côtés de Martin Luther King. Il était noir, et homosexuel, ce qui augurait très mal à son époque. Il a connu l’humiliation et le désespoir, mais il a gardé une grande foi en l’existence. Il a écrit, dans Jimmy’s blues: « Non, je ne sens pas venir la mort, je sens que la mort s’en va, elle baisse les bras, j’ai l’impression de la connaître, mieux que jamais, et quand nous nous retrouverons, une connaissance secrète nous unira ». Aussi, je pense que les rituels entourant la mort sont une chose formidable parce qu’elles nous font renouer avec la collectivité, avec une identité commune: c’est ce qui peut le plus nous rassembler, puisque nous y passerons tous, et que les rituels funéraires permettent de transcender les différences pour nous unir dans le recueillement. Et pourquoi ne pas le faire aussi dans la joie?

 

Marie-Eve Perron / Marion fait maison / 9 novembre à 19 h

marie_eve_perron_presseVOIR: Marion fait maison est un texte délirant qui raconte un réveillon de Noël rocambolesque, avec humour, mais qui est porté par une réflexion sociale sur la société de performance telle qu’elle est valorisée par la télévision, notamment par la télé-réalité. Pouvez-vous me parler de votre inquiétude à ce sujet?

Marie-Eve Perron: La pièce fait principalement état de deux inquiétudes. D’abord, Marion est entraîné dans une spirale de performance et de compétition. Elle reçoit sa famille et ses proches à la maison pour le réveillon et elle veut que tout soit parfait, elle s’impose une trop grande pression et prépare la soirée pendant 40 jours. Nous vivons, c’est une évidence, dans un monde où la perfection est exigée pour tous, et la télévision, mais aussi la publicité et le marketing, nous imposent ces standards même si nous essayons d’y résister, parfois même à notre insu. L’autre inquiétude concerne le rapport au corps, à la beauté physique. Le soir du réveillon, une équipe débarque dans le salon de Marion pour lui faire vivre une expérience de métamorphose beauté. Je suis inquiète de voir que le standard de la beauté devient celui des personnalités-plastique de la télé et des magazines. Tout cela va créer une pression insoutenable sur Marion, et cette pression lui est en plus imposée par les autres, par ses proches. Elle vivra une perte d’identité; tout à coup elle ne s’appartient plus, elle devient le jouet de tout le monde et tous se permettent de commenter chaque aspect de sa personnalité. Elle vit alors des bouleversements psychologiques intenses, elle perd toute estime de soi et son identité profonde est bousculée. Le pire c’est que les gens qui l’entourent présentent ça comme si ils étaient en train de l’aider, de faire un geste altruiste pour elle en la faisant participer à cette émission, et ils le croient profondément, alors qu’en vérité ils provoquent en elle une sorte de démantèlement, de cassure.

 

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