Drugs kept me alive : Se droguer pour apprivoiser son déclin
Scène

Drugs kept me alive : Se droguer pour apprivoiser son déclin

Jan Fabre et Anthony Rizzi s’unissent pour un spectacle qui compile et mélange les drogues hallucinatoires et les autres remèdes. Dans Drugs kept me alive, l’euphorie est proche de la déchéance, mais tout cela est une affaire de survie.

«Suis-je malade?» C’est avec cette question que débute chaque tableau du solo d’Anthony Rizzi, qui a travaillé avec le sulfureux Jan Fabre, star de la mise en scène européenne pour qui le danseur et performeur originaire des Etats-Unis a souvent travaillé après son passage dans la compagnie de William Forsythe à Francfurt. Il est séropositif, souffre d’arthrite et pour mieux juguler cette souffrance, les médicaments et les drogues se sont imposées à lui et se mélangent dans des cocktails explosifs. «Je suis accro à toutes les drogues légales et illégales», lance-t-il, souriant.

En résulte un savant mélange d’euphorie, de puissance intellectuelle, de sensorialité et de soulagement mais aussi de nouvelles douleurs et de nouveaux symptômes. Après la coke, la chiasse; après l’euphorie des poppers, la douleur physique; après l’exaltation corporelle de l’ecstasy, la déprime. Le spectacle explore brillamment les tensions entre le caractère stimulant des drogues et leur revers destructeur: la pièce joue sur le tableau de la drogue comme remède autant que comme évasion, comme plaisir autant que comme maladie.

Même si Rizzi dit qu’il vit dans le plaisir d’assister à sa propre déchéance, son spectacle fait réfléchir à l’autosabotage avec toutes les nuances qui s’imposent. La drogue est une fuite, mais elle est aussi un juste moyen d’apprivoiser son propre déclin, de comprendre la dégradation de soi que chaque humain doit vivre tôt ou tard. C’est d’une lucidité foudroyante.

Et puisqu’on est chez Jan Fabre, virulent pourfendeur de la société marchande, le solo s’interrompt souvent de parodies publicitaires: la drogue n’est finalement rien d’autre qu’une consommation comme une autre, qui répond aussi aux lois du marché même si les transactions se font sous le manteau.

Si le texte propose une riche réflexion, la forme est tout aussi signifiante. Les monologues décrivant les effets des drogues sont entrecoupés et parsemés de séquences dansées, une danse folle, libre et arrondie, enveloppée de bulles de savon tournoyantes. «Je vis dans une bulle translucide», dit Rizzi, plongé dans un monde d’apesanteur qui évoque sa fuite, son refuge loin de la douleur infligée à son corps. Image puissante.

Plus le spectacle avance et plus la scène s’encombre, se parant d’atours post-apocalyptiques. Des nuages de savon mousseux se déposent sur le sol nu, où cachets et flacons s’emmêlent au gré des mouvements dansés de l’intoxiqué. Une sorte de paradis de décombres, qui peut aussi évoquer l’enfer, dans une image dantesque où se conjuguent le bien et le mal, la douleur et la sérénité. À l’image de ce corps qui se dirige vers sa propre destruction en embrassant l’extase.