Patineurs Anonymes : Glisser en liberté
Scène

Patineurs Anonymes : Glisser en liberté

Combatifs et persistants, Alexandre Hamel et ses acolytes de la troupe Le Patin Libre continuent d’arpenter les glaces montréalaises avec Patineurs Anonymes, leur inclassable spectacle de patinage contemporain. Petite histoire de ces amoureux de la glace, qui ont inventé un genre.

En mars dernier, le patineur contemporain Alexandre Hamel confiait sa révolte à ma collègue Elsa Pépin et lui racontait son combat pour que les patinoires montréalaises cessent d’interdire la danse. Lui et ses comparses poursuivent la bataille, mais ils ont heureusement trouvé une oreille attentive au privé et bénéficient d’une résidence de création à l’Atrium du 1000 de la Gauchetière. Là, ils ont peaufiné leur spectacle Patineurs Anonymes, présentement à l’affiche, et ils poursuivent la recherche-création à l’abri des sifflets des employés municipaux, qui appliquent à la lettre un règlement que toutes les patinoires européennes considèrent désuet.

«Il est interdit d’exécuter sur nos patinoires publiques tout mouvement s’apparentant à la danse, comme tournoyer, lever les jambes ou tenir quelqu’un par la main, explique-t-il. On se bat contre ça, non seulement pour affirmer notre droit de danser, mais aussi pour favoriser une ouverture des patinoires vers un mandat plus large. En Europe, la permissivité sur les patinoires a favorisé la naissance d’une scène de danse urbaine sur patin. C’est dommage qu’on se prive de tout ça chez nous. Montréal, c’est peut-être la ville au monde ayant le plus beau réseau de patinoires publiques.»

Ce règlement, a-t-on envie de dire, est à l’image de la sur-sécurisation de tous les espaces publics à Montréal, dont les règlements sont dictés par une tendance à la privatisation de l’espace et par une grandissante obsession de la sécurité. «Ça m’attriste, dit Alexandre Hamel, car je pense qu’il y a une beauté dans le fait que des citoyens s’accaparent l’espace en y faisant de l’art, de diverses manières, même s’ils sont amateurs, même si la qualité n’est pas très élevée. Il faut qu’on apprenne, dans cette ville, à laisser des mouvements artistiques émerger de la rue, dans l’espace commun, sans tout baliser par les institutions.» Un vaste débat.

En attendant, les trois virtuoses de la troupe Le Patin Libre continuent d’affiner leur art : un mélange de prouesse technique, empruntée au patinage olympique mais intégrée aux spectacles de manière poétique, et de mouvements dansés qui s’appuient sur les potentialités du patin. Beaucoup de glisse, de la vitesse et des tournoiements infinis, mais toujours dans un souci de cohérence dramatique, en aménageant au cœur de ce mouvement incessant un espace visuel et poétique.

«En toute modestie, je dois dire que j’ai le sentiment qu’on est en train d’inventer un genre. Très peu d’artistes sont dans notre créneau: il y a en Europe des artistes qui font de la danse contemporaine sur glace, mais ils n’exploitent pas comme nous la virtuosité du patineur athlétique. Il y a une dimension sportive dans notre travail, mais vraiment en combinaison avec la danse, plus poétique. On n’est pas non plus dans le pastiche, comme en patinage artistique traditionnel, en reprenant par exemple les codes du tango. on s’inspire autant de danse contemporaine que de danse urbaine, tout en gardant un œil sur le théâtre et sur le cirque contemporain.»

Du théâtre, ce patinage contemporain? «Il y a du moins dans nos mises en scène une sorte d’ironie, ou de surréalisme, de sarcasme assez noir. Je me sens très inspiré par des compagnies de cirque contemporain comme Les 7 doigts de la main, dont le langage circassien doit beaucoup au théâtre. Il s’agit d’utiliser la virtuosité d’une manière intelligente, dans une perspective de théâtre d’images.»

http://www.lepatinlibre.com/

 

Patineurs Anonymes est présenté le samedi 16 mars à 20h30 à l’Aréna St-Louis, 5633 rue St-Dominique, Montréal