Dossier théâtre : Théâtre indie et hors circuit
Juxtaposer les mots théâtre et indie, c’est créer un précédent. Si l’expression n’a pas encore été utilisée, le mouvement, lui, est bien réel. Un mouvement inspiré de ce qui se fait en musique, de la création DIY et des prestations in situ.
C’est über cool, ç’a quelque chose de hip. En 2013, à Québec, le théâtre s’infiltre hors des murs des institutions. De Premier Acte, du Périscope, de la Bordée et du Trident. En 2013, à Québec, le sous-sol du Cercle est au théâtre ce que le Pantoum est à la scène musicale locale. Un lieu de diffusion qui – il faut bien l’admettre – attire tout autant que le spectacle lui-même. On y va pour l’expérience globale, la pièce comme le décor et l’ambiance naturelle de la place.
Le but de l’exercice est-il de flirter avec les fans de musique? «C’est justement mon intention avec mes pièces», répondra Jocelyn Pelletier du tac au tac, lui-même mélomane averti et personnage principal des nuits de Québec lorsque se bookent concerts et DJ sets. La faune de Saint-Roch est belle, le public 18-35 ans est curieux et assoiffé de culture plus pointue. Ce constat-là, Pelletier l’a fait (un peu) avant tout le monde en mettant sur pieds le OFF Classique aux côtés d’Édith Patenaude et Steve Gagnon. Dès février 2013, il réserve sa place au niveau parking du Cercle. Faut considérer le mauvais jeu de mots comme un bonus.
Anti-casting
Justement, son ancien prof du Conservatoire d’art dramatique de Québec a choisi de reprendre une part du concept du OFF en l’adaptant à son style à sa parole. Depuis septembre, Michel Nadeau présente ses Cartes blanches au sous-sol du Cercle.
Le principal intéressé et membre de longue date de la compagnie Niveau Parking l’avoue sans gêne: il apprend beaucoup au contact de ses élèves. Même lorsque diplômés depuis dix ans, serait-ce tentant d’ajouter. «L’idée, c’est de se déplacer là où les publics sont.» La sécurité de son poste temps plein a beau l’avoir propulsé au-delà du salaire annuel de 12 000$ gagné par le comédien moyen de Labeaume City, Nadeau ne s’assied par sur ses lauriers. Son radar est toujours à on, à la recherche de nouvelles avenues à la mode pour partager son travail. Suffit de s’asseoir le temps d’un café avec lui pour réaliser qu’il est allumé et sage à la fois.
La cinquantaine bien entamée, l’arpenteur des planches qui a connu les débuts du Périscope et de Premier Acte se voit aujourd’hui en mesure de dresser un portrait lucide de la situation actuelle. D’autant plus qu’il revient tout juste de Montréal, là où il a assisté au Conseil québécois du théâtre. «La dynamique a changée. Il y a 18 ans, on comptait environ 65 compagnies de théâtre au Québec. Aujourd’hui, on en compte 350. On se retrouve avec un gros, mais beau problème: il y a trop de projets pour le nombre de scènes.» C’est une période intéressante sur le plan créatif, certes, mais ça n’empêche pas ses anciens étudiants de s’exiler. Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de comédiens de 35 ans et plus à Québec? La raison est simple selon Michel Nadeau: l’industrie de la télévision ne s’est jamais développée dans la Vieille Capitale. Si les comédiens veulent gagner des sous, ça passe par les téléromans, le doublage et la pub.
Croire au père Noël
En ces temps pas trop faciles pour personne, force est d’admettre que l’envie de créer est plus forte que tout. «Ils savent qu’on va le faire pareil, même si on n’a pas de subvention», dit Michel Nadeau. Désabusé, peut-être, mais pas comme certains qui continuent d’espérer un plus rose avenir pour leur art. Les cofondatrices du Théâtre de la Galerie en sont, des artisanes archi-débrouillardes qui ont présenté une quasi-satire théâtrale des jeux de rôles grandeur nature (Loi et chaos) dans le parc Victoria à la fin de l’été avec une petite bourse de Première Ovation. Des filles brillantes et passionnées toutes deux âgées de 24 ans dont vous risquez de réentendre parler. Retenez leur nom: Valérie Boutin et Julie Lespérance. À l’heure actuelle, elles travaillent d’ailleurs à l’écriture de deux autres pièces dans l’appartement qu’elles partagent.
Puis, il y a Maxime Robin. Électron libre en mode de création constant, il est (au même titre que Jocelyn Pelletier) l’un de ses diplômés du Conservatoire qui jusque-là résistent à l’aimant montréalais. Si l’autoroute 20 est un chemin fréquemment emprunté dans leur cas, leurs cœurs respectifs sont à Québec même si le support d’un des quatre théâtres de la ville n’est pas toujours au rendez-vous. Enfin, ils sont accueillis par eux à l’occasion. Pour Iphigénie en auto et Le NoShow dans le cas de Robin, pour Entre vous et moi, il n’y a qu’un mur et Electronic City en ce qui concerne Pelletier. Reste qu’on ne peut pas en dire autant de tous leurs textes et mises en scène. De ça, le grand blond peut vous en parler longtemps. À ce sujet, Maxime Robin reviendra à la Maison Chevalier cet hiver encore pour présenter ses contes de Noël. Une tradition qu’il instaure peu à peu et à la sueur de ses petits bras de géant svelte. À voir les 20, 21 et 22 décembre. Sans oublier le Festival du Jamais lu auquel il collabore, un porte-voix pour ce qui a été écrit dans l’urgence ici et maintenant.
Faudrait pas oublier Lévis
De l’autre côté du traversier – accessible gratuitement, de surcroît, pour tout détenteur de la carte OPUS du RTC – certains seront étonnés d’apprendre que L’Anglicane offre une programmation théâtre des plus intéressantes. Surprenante même. Fabien Cloutier y a présenté Cranbourne en octobre, Christian Essiambre y présentera Les 3 exils de Christian E. en décembre. Et ce n’est qu’un mince aperçu. L’initiative vient de Diane Blanchette, une ex-femme de théâtre diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1978 qui a mis un terme à sa carrière de comédienne en 1999 même si la passion brûle encore. «Faut se battre pour faire connaître notre programmation. […] La difficulté vient du fait que, nous, on offre des one-night stand alors que les théâtres de la Rive-Nord présentent la même pièce pendant trois à quatre semaines.»