Dossier théâtre : Les piliers des planches
En vrais piliers de la scène à Québec, Marie Gignac, Marie-Ginette Guay et Jack Robitaille étaient tout indiqués pour réfléchir sur l’état du milieu théâtral. Regards croisés à trois sur ce qui se passe sur les planches et dans la salle.
Mot d’ordre: dynamisme
Sans dévoiler leur âge, on peut tout de même dire qu’à eux trois, ils cumulent plus de 90 ans d’expérience au théâtre. Trois comédiens, trois entrevues individuelles et pourtant, quand on leur demande quelle est leur perception de la scène actuelle, ils répondent comme d’un même souffle: «dynamique». «C’est un bon moment pour le théâtre», se réjouit Jack Robitaille. Le deuxième vice-président de l’Union des artistes poursuit avec animation: «Les spectacles sont de qualité, il y a une grande originalité des approches.» De son côté, Marie-Ginette Guay souligne que ce ne sont plus seulement des lieux ou des compagnies qui s’illustrent, mais aussi des artistes qui deviennent les moteurs de projets originaux. Marie Gignac, elle, voit plus loin encore: «Le travail des créateurs d’ici trouve des échos au-delà de la ville de Québec, les pièces s’exportent ailleurs en province et aussi à l’étranger.»
Parmi ces jeunes créateurs, plusieurs noms reviennent dans les discussions: Édith Patenaude, dont Jack Robitaille loue la conjugaison de talents, Jocelyn Pelletier, dont le travail de recherche impressionne Marie-Ginette Guay, et Alexandre Fecteau, avec sa réflexion sur le rapport entre salle et scène. Quand on leur demande de nommer des artistes de la relève à surveiller, les trois piliers sont intarissables. La liste s’allonge sans cesse: Véronique Côté, Marie-Hélène Gendreau, Maxime Robin, Maryse Lapierre, Marie-Renée Bourget Harvey… «Je m’en voudrais d’en oublier tellement il y a de bons artistes!» s’exclame Marie Gignac. Et si ce qui se passe sur scène va aussi bien, qu’en est-il dans la salle?
Un public pluriel et éparpillé
Marie Gignac corrige tout de suite: «Je n’aime pas parler d’un public, mais bien des publics. Ça change tout le temps, ça dépend de ce qu’on leur propose!» Soit. Comment sont les publics, alors? «Avec la diversité des propositions, la multiplicité de l’offre multiplie le public», analyse Marie-Ginette Guay. De son côté, Jack Robitaille avance qu’en raison de la diversification de l’offre culturelle à Québec comme ailleurs, il y a une mouvance du public. Celui qu’on croyait attaché au théâtre est maintenant attiré ailleurs et le défi est d’aller le chercher. «On a cette idée qu’on ne prend pas son pied au théâtre comme à la télé, mais c’est totalement faux! Il y a beaucoup de gens qui ne vont pas au théâtre, parce qu’ils ne savent pas que s’ils y allaient, ils aimeraient ça!»
On croirait à tort que le public des jeunes adultes est le plus difficile à asseoir en salle. Marie Gignac insiste pour dire qu’en fait, les jeunes sortent beaucoup. Si elle constate que le public du Carrefour international du théâtre, dont elle est la directrice artistique, rajeunit de plus en plus, elle ne sait pas comment expliquer ce fait. Exit le cliché du théâtre pour les vieux, alors? «Bien sûr que c’est un préjugé! Ce n’est pas que pour les têtes grises», s’exclame le doyen des interviewés. «On parle d’affaires qui concernent tout le monde, mais pas de façon plate, là, de façon l’fun!»
Parlant de têtes grises…
Comment se fait-il que l’on voie de moins en moins de comédiens plus âgés sur scène? «Il n’y a pas beaucoup de rôles pour les acteurs mûrissants», avance délicatement Marie-Ginette Guay. Marie Gignac mentionne que si on n’enseigne pas, que l’on n’est pas directeur artistique ou qu’on n’a pas un à-côté pour joindre les deux bouts, il est difficile pour un comédien mature de vivre avec seulement deux pièces par année. «Il faut être polyvalent pour rester à Québec.» Cette rareté des rôles, Jack Robitaille l’explique simplement: «À Québec, la scène appartient aux jeunes. Le théâtre, ça marche en famille. Tu montes un show, t’engages ta famille.» On pourrait le croire amer, mais il n’en est rien. Jack Robitaille ne pose qu’un constat et admire cette jeunesse créative et dynamique. Même chose du côté des deux comédiennes. Tous notent l’impact majeur qu’a eu le programme Première Ovation sur le milieu théâtral de la ville et l’élan que cela a donné aux jeunes créateurs. C’est pourquoi Marie Gignac lance à la blague qu’elle songe à développer un programme «Dernière Ovation»!