Festival Nederland – Nouvelles scènes des Pays-Bas / Entrevue avec Ivo van Hove : En croisade contre le sous-financement
Le Québec et les Pays-Bas, même combat? Avec son festival Nederland, l’Usine C propose de découvrir le travail de jeunes artistes néerlandais qui seraient habités par la même fougue que la jeune génération québécoise et surtout de réfléchir au désengagement de l’État dans la culture. Discussion avec le grand Ivo van Hove.
Quand les artistes québécois réfléchissent au financement public de la culture, ils se tournent généralement vers l’Europe en quête d’États modèles pour inspirer nos gouvernements. S’ils brandissent d’abord l’exemple français, puis allemand, leurs regards se portent rapidement sur les Pays-Bas, où la culture a toujours été massivement financée. Or, depuis janvier 2013, le budget culturel a été amputé de 30% en Hollande et il affecte autant les compagnies établies, comme le Toneelgroep Amsterdam que dirige Ivo van Hove, que les petites compagnies, dont certaines sont vouées à disparaître. La jeunesse écope, et la vitalité de la scène néerlandaise va en souffrir.
Difficile de ne pas faire de parallèles avec le Québec, où les subventions ne cessent de diminuer et continuent de favoriser davantage les compagnies les plus anciennes, créant depuis des années une situation d’étranglement pour les artistes émergents et intermédiaires.
À vrai dire, même si les montants dévolus à la culture demeurent plus élevés aux Pays-Bas qu’au Québec, la situation est si semblable que les paroles d’Ivo van Hove pourraient être placées mot pour mot dans la bouche de Martin Faucher, de Brigitte Haentjens et même de Lorraine Pintal, qui s’expriment régulièrement au sujet du sous-financement chronique de la culture québécoise.
«Ma compagnie a subi des coupes de 12%, explique Ivo van Hove. C’est énorme. La pression sur les compagnies pour vendre davantage de places et pour récolter du financement privé est inédite. Je suis prêt à accepter que des compagnies établies comme la mienne, qui ont fait leurs preuves, soient soumises à certains critères de rentabilité. Mais en imposant les mêmes règles pour tout le monde, et en le faisant de manière si drastique, il n’y aura plus jamais de théâtre d’art et tout le monde sera forcé de faire du théâtre commercial. Dans un tel système, il n’y aura jamais de place pour des visages inconnus et pour des démarches audacieuses.»
Pire encore, pointe le metteur en scène, «cette situation crée une compétition malsaine entre les générations d’artistes. À Amsterdam, depuis quelques années, se développait une très saine collaboration entre les jeunes artistes et les artistes établis. Le sous-financement est en train de briser cette idylle en plaçant les compagnies en concurrence les unes avec les autres».
Reste que la scène néerlandaise est l’une des plus inventives et des plus avant-gardistes en Occident. Le festival Nederland permettra de le constater à nouveau. Au programme: Two Times Soft, le vertigineux parcours d’une femme nue dans un labyrinthe de verre brisé; Co(te)lette, une pièce dans laquelle trois danseuses explorent le désir et les tabous féminins; Sweat Baby Sweat, un intimiste corps-à-corps amoureux et Freetown, une pièce du génial collectif Dood Paard sur le tourisme contemporain.
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Ivo van Hove participe à une discussion publique en début de festival avec le metteur en scène québécois Martin Faucher. usine-c.com/programmation/nederland
Vous laissez entendre qu’à la lumière des propos d’Ivo Van Hove, il est « difficile de ne pas faire de parallèles avec le Québec, où les subventions ne cessent de diminuer et continuent de favoriser davantage les compagnies les plus anciennes, créant depuis des années une situation d’étranglement pour les artistes émergents et intermédiaires. » Votre propos manque de nuance. Qu’entendez-vous par diminution des subventions? Faites-vous référence à l’absence d’ajustement de ces subventions au coût de la vie ? À la dernière ronde de subvention au conseil des arts du Canada? Il n’y a pas eu de baisse généralisée à Ottawa ou à Québec, que je sache. Ainsi, « ne cesse de diminuer » m’apparaît exagéré. C’est plutôt un insupportable et problématique statu quo qui perdure pour l’ensemble des compagnies de théâtre. De plus, il est tendancieux d’affirmer que cette supposée baisse de subvention favorise les compagnies plus anciennes. Je ne vois pas en quoi des compagnies, dont les subventions certes historiquement plus élevées que la majorité, se trouvent favorisées par cette situation. Elles s’en trouvent toutes aussi affectées. Le déséquilibre du financement n’est qu’une partie de la réponse de cet étranglement des artistes émergents et intermédiaires auquel vous faites référence. À défaut de reconnaître la complexité des causes du sous-financement en théâtre, on glisse rapidement dans le cannibalisme comme solution à l’emporte-pièce.
Concernant les propos d’Ivo Van Hove, ce n’est pas parce que l’on pousse ici et là quelques phrases contre le sous-financement que l’on en fait une croisade, non? Je suis d’accord avec ses propos, mais si sa dite croisade en reste là, et aussi nécessaire qu’il soit de dénoncer cette situation, ça manque un peu de vigueur comme indignation. Le message qui est envoyé au gouvernement : « Je coupe, ils s’indignent, ça passe. Au suivant. » Peut-être entreprendra-t-il d’autres actions? Qui sait? Un peu comme au TNM, on l’attend toujours cette représentation de l’Avare sur la colline parlementaire.