Cirkopolis : Rien de nouveau sous la grisaille
Malgré les belles prouesses de ses 12 artistes multidisciplinaires et sa scénographie multimédia, Cirkopolis ne parvient pas à convaincre que le Cirque Éloize est encore de ceux qui repoussent les frontières des arts circassiens.
Signées Alexis Laurence, des projections d’images virtuelles de gratte-ciels et d’immenses engrenages, rappelant les films Metropolis de Fritz Lang et Les Temps modernes de Chaplin, évoquent une société sombre où les individus se fondent dans la masse d’une population soumise aux diktats de la productivité. Luttant contre la grisaille ambiante et l’homogénéisation galopante, les héros de Cirkopolis expriment tour à tour leur vitalité et leur individualité, affichant leurs couleurs entre jongleries, clowneries, acrobaties terrestres et aériennes. Potentiellement riche de tensions, de montées dramatiques et de jouissives résolutions, le sujet est hélas traité avec superficialité, servant simplement de liant, pas toujours très solide, entre des numéros disparates qu’on applaudirait avec autant d’enthousiasme dans n’importe quelle autre production.
Parmi ceux-ci, la danse naturelle et enlevée d’Angelica Bongiovonni avec la roue Cyr est tout aussi impressionnante que le duo athlétique et complice de Maude Arsenault et Mikaël Bruyère-Labbé au mât chinois ou la fabuleuse combinaison de contorsions, d’équilibres et de main-à-main réalisée par Myriam Deraiche. On apprécie le jeu nuancé du clown-acrobate Ashley Carr, la dynamique masculine dans le numéro de roue allemande dans lequel, au soir de la première montréalaise, Frédéric Lemieux-Cormier semblait par trop tendu, ainsi que l’usage de mobilier de bureau pour jouer sur les niveaux dans le numéro de jonglage collectif. Mais le métissage du cirque avec la danse et le théâtre est loin d’être aussi efficace qu’on nous l’annonce. Et force est de constater que dans les dernières créations du Cirque Éloize, son directeur artistique Jeannot Painchaud n’accote pas le niveau d’intégration interdisciplinaire et la puissance poétique de La Trilogie du ciel réalisée avec Daniele Finzi Pasca entre 2002 et 2007.
Après s’être associé au chorégraphe français Mourad Merzouki pour l’explosive et tape-à-l’œil iD, il a invité le Québécois Dave St-Pierre à co-mettre en scène Cirkopolis, ne lui ouvrant cependant pas suffisamment la porte pour que la force de sa signature imprègne positivement l’œuvre. On y retrouve de subtils clins d’œil à certaines de ses créations, comme un homme brièvement affublé d’une perruque blonde ou des femmes à genou sous une table remuant le postérieur. Dans les quelques rares séquences dansées qui, la plupart du temps, font office de remplissage plus que de transition entre deux numéros, on reconnaît aussi quelques motifs de sa gestuelle, malheureusement vidée de son énergie rageuse et de sa puissance émotive. Son apport le plus ingénieux reste l’intégration des costumes (imperméables et chapeaux mous) et de certains éléments chorégraphiques de Joe,œuvre du regretté Jean-Pierre Perreault traitant de la difficulté de se dissocier de la masse.
Pour le reste, la mise en scène multiplie les clichés des productions circassiennes comme une chute d’objets incongrus, des filles sexy un peu frivoles et une finale avec banquine, planche sautoir et pluie de confettis. Et le public se lève pour une ovation.
Jusqu’au 7 décembre au Théâtre Maisonneuve