Clôture de l'amour : Le coeur a ses raisons
Scène

Clôture de l’amour : Le coeur a ses raisons

L’amour est-il une fiction? Une fois rompue, peut-on envisager toute relation amoureuse comme une illusion? Ce sont les questions posées  par Clôture de l’amour, de Pascal Rambert, une partition très exigeante avec sa charge corporelle et ses phrases hachurées. Dans la production du Quat’sous mise en scène par Christian Vézina, la pâte ne lève qu’à moitié.

Avertissement: il m’a été impossible de voir ce spectacle sans le comparer avec la production française du même texte, mise en scène par l’auteur, que j’ai vue en première mondiale au Festival d’Avignon et qui fait partie, à ce jour, des spectacles les plus puissants qu’il m’ait été donné de voir. Le souvenir brûlant de cette pièce brillamment interprétée par Stanislas Nordey et Audrey Bonnet (pour qui les rôles ont été écrits et dont ils portent les prénoms) ne pourra jamais cesser de m’habiter. Autant dire que mes attentes envers la production du Quat’sous étaient élevées. Voilà qui est dit. Quoi qu’il en soit, étant donné le défi que constitue pour n’importe quel acteur ce texte vertigineux, il ne pouvait en être autrement. Je ne peux toutefois pas m’empêcher de vous recommander d’attraper, lors de votre prochain passage en Europe, une représentation de la production originale (qui est toujours en tournée en France et qui sera notamment présentée à Paris en février 2014, au Théâtre du Rond-Point).

Clôture de l’amour est un combat, une fusillade, un double tir. Se balançant à la gueule leurs monologues de rupture, Stan et Audrey dissèquent leur relation, décortiquant dans une orgie de mots leur rapport à un sentiment amoureux qui les a puissamment unis mais qu’aujourd’hui Stan affirme considérer comme une fiction, comme un leurre, comme un cadavre tout juste bon pour le mausolée. On ne peut pas en vouloir à Stan: sa vision de l’amour est en adéquation avec son époque de désillusions et en parfaite résonance avec son tempérament d’intello qui doute, qui questionne, qui refuse les lieux communs et qui n’est pas dupe des romances à l’eau-de-rose que lui propose, à grands coups de publicité mensongère, une société consumériste. Audrey, qui a encaissé les coups en courbant son corps jusqu’au quasi-affaissement, lui répliquera par la bouche de ses canons, s’indignant de la froideur de son vocabulaire et de la vulgarité de son regard sur l’amour, lui rappelant aussi la force des sentiments qui les ont unis et les souvenirs signifiants qu’elle souhaite continuer à chérir. Touché. Il s’effondre à son tour.

Or, si le texte aménage des espaces de tendresse, surtout dans le monologue d’Audrey, il ne s’agit jamais de pur épanchement, jamais de souffrance inapaisable, jamais de réelle affectation, mais plutôt d’outils pour étoffer un argumentaire philosophique autour de l’amour que se portaient ces deux écorchés. La dynamique est toujours celle de l’affrontement, de la joute orale, et, si le corps s’affaisse, il conserve en lui une force: la douleur qui lui est infligée lui sert de levier pour contre-attaquer.

La direction d’acteurs de Christian Vézina ne rend qu’à moitié cette dynamique, ne se privant pas de fausses larmes et de mouvements affectés dans les rares moments où le texte entrouvre la porte du sentiment, les ponctuant d’une trame sonore poussive qui use d’un inutile lyrisme. Le monologue interprété par Christian Bégin, parasité par une gestuelle nerveuse et par une tendance à l’essoufflement vocal et au quasi-chuchotement, n’a que rarement la force de frappe désirée. Heureusement, Maud Guérin contre-attaque avec plus de fermeté lorsque vient son tour, du moins au début de sa belle diatribe. C’est un grand rôle pour elle et le temps ne pourra que faire mûrir bellement son interprétation.

Clôture de l’amour, c’est aussi une réflexion sur le langage. La langue de Stan, plus froide que celle d’Audrey, est à l’image de son regard cérébral sur l’amour. Son monologue flirte avec un langage technique, dans lequel l’amour peut être «reparamétré» pour embrasser un nouveau «paradigme». Il s’agit d’évoquer la manière dont les mots sont tributaires de regards contradictoires sur l’amour, de visions irréconciliables, mais également de montrer comment ils échouent à saisir la vastitude du sentiment amoureux et les échecs qui le caractérise. Hachurée, pétrie par des répétitions et des retours en arrière, sa langue suppose un rythme, une oralité très particulière, à tout le moins une certaine constance phonatoire. Si Bégin se l’approprie bien dans certains segments, il l’abandonne trop prestement lorsqu’il tente un registre plus intimiste, un ton qui évoque davantage la confession que l’argumentation. La même chose se produira plus tard du côté adverse. Tout cela contribue à amoindrir la puissance de la confrontation et à en étouffer le sens, par moments.

Reste que ce texte immense vaut le détour et qu’un passage par le Théâtre de Quat’sous s’impose.