Festival Nederland : Le corps entre désir et douleur
Le corps féminin, en tant qu’objet de désir, est au cœur de la réflexion de l’artiste Anne Van den Broek. Le collectif Dood Paard s’intéresse au tourisme sexuel et le chorégraphe Jan Martens décortique les mouvements amoureux. Des Pays-Bas jusqu’à Montréal, leurs œuvres débarquent au festival Nederland, à l’Usine C.
Anne Van den Broek / Co(te)lette / Tabous féminins
«On pourrait considérer Co(te)lette comme une pièce féministe, dit Anne Van den Broek, mais ce n’est pas mon point de départ. Il s’agit plutôt de décortiquer les tabous associés au corps féminin, comme le vieillissement, en explorant les relations entre le corps et l’enjeu du désir. Les trois danseuses évoluent dans ce que j’appelle des îlots, qui sont associés à des émotions ou des états de corps. Il y a l’îlot du contrôle, l’îlot du désir perdu, l’ilôt de l’euphorie (où est aussi exploré l’orgasme), l’îlot de la neutralité émotionnelle, et ainsi de suite. Le travail s’est articulé de manière très personnelle, à travers mon propre rapport à différentes émotions, que j’ai analysé en me filmant dans différentes situations corporelles et émotionnelles. Je me suis demandé quelles parties de mon corps réagissaient aux différents affects: c’est une étude, assez détaillée, parfois minimaliste, du corps féminin et de ses contradictions lorsqu’il est soumis à ses propres désirs et aux désirs et aux regards de l’autre.»
Manja Topper, du collectif Dood Paard / Freetown / En manque d’amour
«Trop souvent, dit Manja Topper, la prostitution est jugée sans qu’on arrive à y poser un regard plus soutenu. On a voulu s’intéresser au manque d’amour qui pousse les gens à avoir recours à la prostitution, et qui plus est, on a cherché à déplacer notre regard en scrutant la prostitution masculine et en explorant une forme de tourisme sexuel. Notre spectacle met en scène trois femmes vieillissantes, riches, indépendantes, épanouies et apparemment comblées à tous points de vue, mais terriblement seules. Elles se paient des aventures avec de jeunes prostitués en Afrique et, loin de consommer une sexualité crue, elles tombent amoureuses des garçons avec qui elles partagent le lit. Il y a une humanité particulière dans cette situation et nous voulions capter cette humanité dans ces relations illicites, tout en mettant en lumière l’hédonisme de notre société du divertissement, à travers lequel s’opère parfois une perte morale. En filigrane, la pièce explore les cicatrices du colonialisme et les rapports de pouvoir entre le Nord et le Sud.»
Jan Martens / Sweat baby sweat et A small guide on how to treat your life time companion / Danse d’amour
«Je suis fasciné par l’intimité, dit Jan Martens. Dans Sweat baby sweat, je propose deux duos d’amour dans lesquels j’essaie d’explorer des manières nouvelles de danser l’amour. Après des siècles de danse et de théâtre, comment peut-on réinventer la représentation de l’amour. Je fais le pari du minimalisme, de l’attention aux détails du corps et des muscles, et j’essaie de réfléchir à l’effort qu’implique toute relation intime, à l’énergie déployée pour communier corporellement avec l’autre. Mes danseurs souffrent sur scène, il y a toujours un peu de douleur en jeu, comme dans toute relation amoureuse. Ma danse est une danse très pointilleuse et très lente: j’aime forcer le spectateur à regarder les corps dans leurs micro-détails et à prendre leur temps pour ce faire. Notre société ne valorise pas assez la lenteur. DansA small guide on how to treat your life time companion, que je danse moi-même, je m’inspire de ma propre histoire. Cette danse est née lorsque ma partenaire de vie et moi avons décidé d’habiter sous le même toit et que s’en est suivi une période de tensions et de détresse. Le spectacle explore le mouvement contraint, sur une surface hyper-étroite où ma partenaire et moi ne pouvons pas bouger sur plus de deux mètres de superficie. C’est une danse très minimaliste, entre douceur et agressivité. Je me suis notamment inspiré du film 5×2 de François Ozon, sur le couple et ses passages, à travers la chronologie inverse, de la séparation jusqu’au moment de la rencontre.»
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