Humour sens dessus dessous / Jérôme Cotte : De l'ethnique à l'éthique
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Humour sens dessus dessous / Jérôme Cotte : De l’ethnique à l’éthique

L’humour qui se moque de la culture de l’Autre est-il émancipateur ou ne fait-il que reconduire les pires clichés? Un peu des deux, répond Jérôme Cotte, doctorant en philosophie qui a fait de ces enjeux son principal champ de recherche.

Quand Sugar Sammy rit des Québécois, soulignant le «repli identitaire» des francophones, il fait rire une partie du Québec, mais plonge le reste dans une violente grogne. Qu’on se rassure: il rit aussi des Arabes, des Français, des juifs. Mais tout le monde ne trouve pas drôle cet humour dit «ethnique», qui flirte avec les stéréotypes, parfois au risque de les reconduire et de réveiller chez son public une xénophobie bien réelle.

L’humour «ethnique» est-il une forme déguisée de racisme? Peut-on exposer nos préjugés sous le couvert de l’humour, sans être socialement brimés pour nos propos? «C’est une question complexe, répond Jérôme Cotte. On se permet beaucoup de choses sous le couvert de l’humour, en prétextant le fameux « deuxième degré ». J’étudie personnellement cette question à partir d’une approche phénoménologique. On associe le rire à la convivialité, à la santé, mais le phénomène du rire a aussi un autre versant: la honte. Quand le rire est mû par une certaine agressivité à l’encontre de groupes sociaux précis, à travers ce que j’appellerais l’humiliation humoristique, il ne procure pas que des bienfaits. Cet humour joue sur les stéréotypes ethniques au lieu de les questionner.»

Jérome Cotte_web
Jérôme Cotte

Il existe heureusement un humour ethnique qui se soucie de l’éthique. Jérôme Cotte nomme spontanément Nabila Ben Youssef comme emblème de cet humour «émancipateur». «Elle déconstruit les stéréotypes associés à l’islam, dit-il, ainsi que les stéréotypes associés à l’image traditionnelle de la femme. Ses spectacles brisent les perceptions figées de ces identités-là pour leur redonner toute leur complexité. Je dirais qu’Adib Alkhalidey et Eddie King arrivent aussi très bien à parler des stéréotypes sans les reproduire ou les réifier, ils arrivent à en montrer les travers et à mettre en lumière les contradictions de la culture dominante.»

Comme l’explique Simon Critchley dans son livre De l’humour, l’humour ethnique est également émancipateur lorsqu’il cherche la dissension plutôt que le consensus. «Il y a immanquablement un côté conservateur à l’humour, précise Jérôme Cotte, car pour que ça fonctionne avec un large public il faut un regard sur le quotidien partagé, des blagues qui reconfirment le sens social. Mais l’humour peut aussi être porteur d’un refus de ce consensus. Cet humour crée un effet de distance et propose un regard oblique sur notre réalité. En relativisant ce qu’on vit, on peut soudain se sensibiliser à ce que vit l’Autre et sortir des idées reçues. C’est un humour qui a le courage de son esprit de clocher, qui assume son propre racisme en étant critique à son sujet.»

Pour approfondir cette réflexion, Jérôme Cotte propose notamment de visionner un faux documentaire d’Hari Kondabolu, intitulé Manoj, dans lequel on suit la carrière d’un humoriste fictif, d’origine indienne, dont l’humour repose sur les pires stéréotypes. On y observe un public blanc, homogène, qui savoure ces clichés tout en se croyant parfaitement ouvert d’esprit. Percutant.

Pour plus d’informations sur le colloque Humour Sens Dessus Dessous: observatoiredelhumour.org