Catherine Lavoie-Marcus et Michel F. Côté : Comme une chanson douce-amère
La chorégraphe émergente Catherine Lavoie-Marcus s’associe au vieux routard qu’est le compositeur Michel F. Côté pour créer Schizes sur le sundae, une œuvre de chair et de son qui oscille entre jouissance et déplaisir.
Rares sont les jeunes chorégraphes aussi audacieux et affirmés que Catherine Lavoie-Marcus. Déjà présentée par Tangente l’an dernier, elle révélait dans Acéphales une écriture singulière entre théâtralité et performance ainsi qu’un goût prononcé pour les relations et situations troubles. Entourés d’une trentaine d’objets faisant office de figurants, les trois protagonistes de Schizes sur le sundae sont en huis clos sur un prélart de 12 pieds carrés, pris entre sentiment d’enfermement et désir d’évasion.
«Ils cherchent par toutes sortes de moyens à échapper à l’ennui, mais tout les ramène à cet univers clos, explique la chorégraphe. Les dynamiques relationnelles sont ambiguës, on n’arrive pas forcément à savoir ce qui se passe. La dichotomie entre l’humour et le tragique, l’oscillation entre plaisir et déplaisir sont des choses qui m’obsèdent et je travaille sur la fine ligne qui permet de basculer d’un côté ou de l’autre.» D’où la mutation de la traditionnelle cerise du sundae en schizes, terme se rapportant à l’idée de coupure, de disjonction et, dans ce contexte, à celle de plaisir contrarié.
Les évocations de plage, de sous-sol défraîchi, de maison de retraite ou encore, de stationnement qui émaillent la pièce sont le résultat d’images ayant marqué les 18 mois de foisonnants échanges entre Lavoie-Marcus et Michel F. Côté qui partagent le même goût de l’humour et des concepts. Quand ils ont collaboré à la toute fin du processus de création d’Acéphales, la chorégraphe a réalisé combien l’approche du travail sonore de son complice pouvait ouvrir les horizons de sa propre recherche sur l’inter sensorialité. C’est ainsi que le rapport étroit qu’elle avait développé entre le corps et la matière (argile, peinture, plastique…) s’est dématérialisé dans la rencontre entre le corps et le son.
«On a beaucoup travaillé autour de l’idée de la répétition, de la ritournelle, en s’amusant avec des choses très minimales, commente Côté. On était intéressé par les possibilités musicales des mots et par leur capacité à provoquer une physicalité réactive. Par exemple, un dispositif de haut-parleurs dans les costumes des interprètes donne parfois l’impression que les mots jaillissent de leur corps. Et évidemment, même si on créé une forme de langage absurde, les mots ne sont pas neutres et on n’échappe pas au sens. Alors on s’est amusé avec ça, mais en se gardant bien d’assommer les spectateurs avec tout un discours. On a joué avec les mots à la manière des funambules.»
«L’espace sonore nous permet de jouer sur le sens, ajoute Lavoie-Marcus. Parfois, on utilise des dispositifs qui transforment les intonations de la voix, les distordent, en changent la nature, ce qui change à la fois le sens et l’espace d’expression corporelle.»
Créée dans un rapport égalitaire et dans le décloisonnement des rôles de chorégraphe et de compositeur, l’œuvre fait aussi la part belle aux individualités de Kelly Keenan, Magali Stoll et Lael Stellick qui ont produit la plupart du matériel sonore et chorégraphique. «Ce sont des interprètes aux signatures très singulières; sans eux, la pièce ne serait pas la même», insiste Lavoie-Marcus.