Contes urbains 2013 : Des contes flambant neufs
Scène

Contes urbains 2013 : Des contes flambant neufs

Cette édition des contes urbains s’annonçait comme «l’édition émergente» ou comme «l’année du renouveau». Mission accomplie. Les jeunes auteurs qui y ont prêté leurs plumes ont ragaillardi l’événement, devenu merveilleusement plus cinglant.

Ils sont six. Réunis par Annick Lefebvre, ils ont frappé à la porte d’Yvan Bienvenue, le grand manitou des contes urbains, pour lui demander s’ils pouvaient prendre possession de sa soirée de contes de Noël. Ce qui fut fait. Peut-être fallait-il un geste aussi radical pour que les contes urbains arrivent enfin à se renouveler. Toujours sympathique, la formule s’essoufflait artistiquement depuis quelques années. Débarrassés de la «trashitude» qui a fait leur renom, les contes de l’édition 2013 sont caustiques et misent beaucoup sur l’autodérision, mais jamais sur les clichés de la vie urbaine. Ici, ce ne sont pas vraiment les textures urbaines et les bruits de la ville qui forment l’arrière-plan narratif, mais plutôt la persona urbaine, ou la manière dont la ville affecte les personnalités et charrie un certain nombre de valeurs.

La question de la transmission domine aussi la plupart des contes, d’une manière ou d’une autre. Ces textes ne passeront pas à l’histoire, mais ils s’inscriront en bonne place dans le parcours de ces jeunes auteurs et ils ont le mérite de permettre aux spectateurs des contes urbains de les découvrir dans des univers qui leur ressemblent (on reconnaît tout de suite la griffe de chacun dans ces textes qui ont beaucoup de personnalité).

Le thème de la transmission est d’ailleurs au cœur du conte de Martin Bellemare, Saucisse bacon, où l’on rencontre un trentenaire soudainement plongé dans un souvenir d’adolescence qui le mène à réfléchir à sa relation avec son père (et à la paternité qui le guette aussi). Jouant sur les frontières de la narration, faisant semblant de ne pas se prêter au jeu du conte alors qu’il est bel et bien en train de le faire, le touchant personnage est interprété par Hubert Proulx dans un jeu d’une saisissante immédiateté. En filigrane, le conte peint un portrait de la masculinité québécoise au fil des ans: un sujet que Bellemare a aussi discrètement labouré dans sa pièce Le chant de Georges Boivin.

Le clou de la soirée est le texte de Rebecca Deraspe, Votre crucifixion, qui décortique l’imposante pression sociale à laquelle sont confrontées les mères d’aujourd’hui, à travers un brillant chevauchement de références religieuses et d’hilarantes narrations du quotidien de maman. Traversé de répliques incisives, le conte associe la figure de la mère à celle du Christ crucifié, dans une progression dramatique enlevante. Il fallait pour se le mettre en bouche une actrice de taille: Catherine Trudeau y met toute son énergie et sa maîtrise du sarcasme et de la répartie.

L’héritage judéo-chrétien est aussi ausculté par Sébastien David dans Ruby pleine de marde, une fable douce-amère, même un peu grinçante, sur la tyrannie familiale quand elle impose des valeurs rétrogrades (et homophobes). Mathieu Gosselin a visiblement beaucoup de plaisir à s’approprier ce conte dans lequel le Québec d’antan semble reprendre ses droits sur la ville d’aujourd’hui. Pas pour le mieux.

Dans Le no-pain réveillon, d’Olivier Sylvestre, le réveillon est synonyme d’amour brisé, mais aussi d’amitié profonde (à défaut de mieux). Hubert Lemire y joue le coloc attentionné qui, le soir de Noël, tente le tout pour le tout avec celui qu’il aime secrètement depuis des années. Guidé par le bienveillant fantôme de sa grand-mère, il vivra une soirée rocambolesque et un peu trash, entre l’appartement et la rue. Un conte à l’issue tragique, mais tout de même follement attendrissant.

N’en faisant qu’à sa tête, Annick Lefebvre ne respecte à peu près aucune des règles du conte urbain dans Ce qui dépasse, un texte-bombe qui accuse le confort et le consumérisme de tous les maux du monde (de manière parfois radicalement militante et peu nuancée) mais qui, dans ses nombreux meilleurs moments, passe en revue l’année 2013 en croisant les regards sur la sociopolitique et les autres actualités inclassables. C’est un monologue parsemé de phrases longues et elliptiques, qui pourfend notre amnésie collective mais laisse voir un peu d’espoir dans l’idée du rassemblement. «Nous sommes ensemble mais nous sommes seuls. Mais nous sommes dix comme nous sommes huit millions. Nous sommes une dizaine, fébriles d’excitation, pis on se souvient.» Pour porter cette fougueuse parole, la comédienne Marie-Eve Milot ne manque pas d’aplomb. Une finale explosive.

Un peu décalé par rapport aux plumes très contemporaines et très indignées de ses collègues, le conte de Julie-Anne Ranger-Beauregard avait ouvert le spectacle sur une note ancestrale. Nous ramenant à l’époque de la Nouvelle-France en métissant les hommes et les animaux, cette histoire interprétée par Rachel Graton creuse les sentiers de la mémoire et de l’imaginaire collectif primitif. Pas très urbain ni tout à fait caustique, le texte détonne profondément. Dommage.

Si les textes incarnent le renouveau, il en est ainsi de la mise en contes par Stéphane Jacques, qui a eu la bonne idée de bouleverser le rapport scène-salle pour mettre les acteurs et le public dans le même bateau. Fini les musiciens blues-rock s’exécutant dans la semi-pénombre: dites bienvenue à Robin-Joël Cool et Viviane Audet, tout de rouge vêtus pour interpréter de rigolotes chansons de Noël de leur cru ou issu du répertoire country-folk. Merci pour ça.