La femme-corbeau : Beaucoup de bruit pour rien
Scène

La femme-corbeau : Beaucoup de bruit pour rien

Ode à la marginalité et réflexion sur la possibilité de vivre hors des diktats du monde social, La femme-corbeau, de Marcel Cramer, dans une mise en scène de Milena Buziak, est un spectacle bien chargé pour un propos assez mince.

Auteur belge de langue allemande, Marcel Cremer emprunte le titre de cette pièce à un vieux mot allemand, «Rabenmutter», la «mère corbeau», qui désigne une femme abandonnant ses enfants pour s’occuper de sa propre vie. Dans une Allemagne passéiste où les femmes étaient déconsidérées si elles ne devenaient pas mères au foyer,  ces femmes-corbeau étaient rejetées, pointées du doigt, marginalisées. Reprenant cette image de mère-corbeau pour en faire un portrait plus poétique, sans toutefois l’associer au contexte allemand ni le situer dans une époque précise, Cremer imagine la prise de parole de l’enfant abandonnée, en quête de ses origines au moment d’embrasser la vie adulte. Valérie Dumas interprète cette femme marchant sur les traces de sa mère marginalisée, animée par le désir de connaître et de comprendre.

Mais ce texte, finalement, aligne beaucoup de mots et beaucoup d’images, plutôt gentillettes, pour livrer un très simple message de tolérance, d’ode à la liberté et d’anticonformisme. Flirtant avec le conte, aspirant à une portée universelle, le monologue fragmentaire finit par se contenter de généralités et de propos moralisateurs sur le «respect de la différence». Qu’ils soient ou non enrobés de poésie et de mystère n’y change rien: ce texte est fort sentencieux et sonnera un peu comme un long sermon aux oreilles adultes. C’est d’ailleurs un texte jeune public (catégorisé comme tel par son éditeur). Dommage que la compagnie Voyageurs immobiles n’en informe pas les spectateurs. Pourquoi s’empêtrer dans les catégories, me direz-vous? Je sais bien que le théâtre jeune public peut résonner puissamment aux oreilles adultes. Mais, ici, le ton est plutôt infantilisant (ou disons, naïf), bien que poétique. Et ce, malgré la liberté dans l’écriture, malgré les pointes d’humour décalé.

On s’attendrit, bien sûr, du sort de cette femme et de son corbeau. On comprend la force de son imaginaire hors-normes. On s’indigne de l’ostracisation dont elle est victime. Mais il manque à cette pièce des pistes de réflexion sur la nature de cette ostracisation, sur les mécanismes sociaux qui ont poussé sa communauté à la rejeter, sur le contexte dans lequel sa solitude naît et se propage. La femme-corbeau cherche à affirmer son unicité et sa liberté dans un monde qui la réfrène. Une réflexion plus nourrie sur ce monde castrateur aurait bonifié cette œuvre, à laquelle il manque un point de vue, un regard véritablement critique sur le monde, un angle à partir duquel réfléchir à la question de la marginalité.

De même, la mise en scène très chargée de Milena Buziak en fait beaucoup pour raconter peu. La scène est recouverte d’un long papier sur lequel la comédienne peindra les lignes de son trajet et laissera, comme un oiseau parcourant l’immensité du ciel, des traces de sa quête. Dans leur ensemble, ces barbouillages évoquent bien l’idée du chemin parcouru, de l’héritage retrouvé, mais dans le détail, ils semblent bien vides de sens et le temps passé à les réaliser sur scène rend ce spectacle un brin laborieux et tend à la surexplication.