Esprit de famille : Ballet conjugal
Comédie française aux répliques acidulées, Esprit de famille est un succès estival servi en toute légèreté par le Théâtre Jean Duceppe en cette période des Fêtes. Personnages archétypaux plutôt bien campés et mensonges en rafale font de cette pièce d’Éric Assous un divertissement convenable dans son genre. Sans grands éclats de rire.
Bienvenue dans la nouvelle maison de campagne de François et Nicole. S’y retrouveront, pour un repas de pendaison de crémaillère, les frères de François ainsi que leurs conjointes, réunis dans une bonne entente superficielle qui masque de profonds conflits de personnalité et des mensonges bien enfouis. Le vernis va évidemment craqueler de toutes parts au cours de cette soirée arrosée. Le schéma classique de la comédie à la française.
Ne boudons pas notre plaisir: l’écriture d’Éric Assous a le mérite de camper ses personnages de manière directe et d’en faire des archétypes convaincants. Pas de lente mise en place des caractères: les premières répliques de chacun donnent le ton. Voilà qui, malgré l’unidimensionnalité des personnages, est d’une efficacité redoutable en comédie. Il y a Martine (Linda Sorgini), l’urbaine blasée et incisive, qui déteste la campagne et les faussetés du jeu social. Il y a Yvon (Roger Larue), l’avocat et philosophe du dimanche. Il y a aussi David (Yves Bélanger), le dentiste auréolé de succès mais un peu beauf, et sa femme Christelle (Anne Casabonne), la BCBG carriériste et faussement snob, qui étale à tous vents son argent et son bonheur en tant que mère d’un enfant surdoué. C’est François (Antoine Durand), l’optimiste joyeux, et Nicole (Catherine-Anne Toupin), la hippie hypersensible, qui les reçoivent. Même si la direction d’acteurs de Monique Duceppe est un peu brusque et s’appuie sur des revirements émotifs drastiques, joués de manière peu subtile, on apprécie ces compositions juste assez caricaturales.
Surgira une femme qui n’appartient pas au clan et dont la présence placera ces messieurs dans un interminable malaise. Qui est donc cette Talia (Catherine Florent, plutôt inconstante dans ce rôle de femme fatale) qui dévaste les coeurs avec son sourire affriolant et qui semble les connaître mieux que leurs propres femmes? Là commence le bal des révélations et des mensonges improvisés: les maris se crispent et multiplient les courbettes et les inventions; les femmes deviennent vertes de jalousie et avides de savoir.
Les dialogues sont incisifs et construits de manière à révéler aussi, peu à peu, les failles individuelles de chacun. À travers ce ballet conjugal se dévoilent leurs pires travers: racisme inconscient, misogynie profonde et avarice chronique, pour n’en nommer que trois, de même que sont agités des souvenirs douloureux qui font faillir la pauvre Nicole. Ce qui devait être un procès des hommes adultères se transforme alors en règlement de compte entre ces belles-soeurs qui se détestent secrètement depuis toujours et qui, ce soir-là, ne joueront plus le cruel jeu des convenances sociales. Un revirement intéressant, qui épargne étrangement ces messieurs. Ils termineront la soirée quasi-indemnes.
C’est loin d’être une comédie féministe, vous aurez compris. Mais c’est une comédie écrite en France. Ceci explique cela.