Les petits orteils / Entrevue avec Lise Gionet : Dans les mystères du temps
C’est un classique du théâtre jeunesse québécois: le Théâtre de Quartier propose à nouveau Les petits orteils, de Louis-Dominique Lavigne, au Théâtre d’Aujourd’hui pendant les fêtes, dans une nouvelle mouture créée en 2011. Entrevue avec la metteure en scène Lise Gionet.
C’est en observant sa fille de 4 ans réagir à l’arrivée d’un nouvel enfant dans la famille que Louis-Dominique Lavigne a écrit Les petits orteils, une pièce sur l’apprivoisement de la cohabitation, mais aussi et surtout sur le temps qui s’écoule et qui nous rapproche de la mort. Aujourd’hui, sur scène, c’est cette même petite fille, Jeanne Gionet-Lavigne, âgée de 25 ans, qui interprète le rôle inventé par son père en 1991. La pièce agite des enjeux métaphysiques et philosophiques en les adressant aux tout-petits dans une langue poétique, sans infantilisation.
«Au Théâtre de Quartier, explique Lise Gionet, on a toujours pensé que les enfants, particulièrement les plus jeunes, sont capables de beaucoup de poésie, de beaucoup de profondeur, et désireux d’aborder de grandes questions philosophiques et des questions sur le temps, surla vie. On a toujours beaucoup cru à l’intelligence des enfants-spectateurs, peut-être parce que c’est un public neuf qui n’a pas de repères théâtraux, pas d’à-prioris. Alors on les emmène aussi loin qu’on veut, dans des aventures dramaturgiques étonnantes.»
S’amusant avec les mots et avec les récits, la pièce est portée par une forte narrativité, interrompant ses dialogues par des moments de conte et de retours sur soi. Du théâtre-récit à l’allemande, avant l’heure. «C’est une pièce sur l’attente, poursuit Lise Gionet, sur le temps qui s’écoule, sur le rapport entre les générations, sur la mort, la vie. Mathilde vit un questionnement sur la place qu’elle occupe dans le monde, d’abord au sein de sa famille, mais on peut aussi le voir comme une réflexion sur son inscription dans un environnement plus vaste, dans la société. Sa curiosité est manifeste. La curiosité est le plus beau moteur de l’enfance, et parfois on la perd en vieillissant. Poser des questions, interroger, se questionner sur la vie qui nous entoure, c’est le propre de l’enfance et c’est le propre de l’intelligence.»
L’égo de Mathilde est ainsi fort torturé par l’arrivée d’un nouveau bébé dans la famille. À travers ses discussions avec son grand-père, elle apprendra toutefois à apprivoiser l’idée de la cohabitation, mais elle y arrivera aussi en ayant recours à l’imaginaire. «C’est en inventant des personnages avec son ami Simon qu’elle apprend à apprivoiser ses questionnements. J’ai toujours pensé que l’imagination devrait être au pouvoir. L’imagination est excessivement subversive. . Le théâtre pour les très-petits est une activité collective, il convie des gens à un endroit dans la cité, ensemble. Je pense que c’est un moment d’autant plus important pour l’enfant d’aujourd’hui qui est souvent, comme l’adulte, en interaction avec des écrans.»
«Je n’ai pas fait une mise en scène à l’Italienne, dit Lise Gionet, je propose plutôt un espace éclaté. Les spectateurs sont très près des acteurs et la notion de la place qu’occupe Mathilde dans l’espace est primordiale. Parce que le contact avec l’actrice est très direct, très proche, je pense que les enfants reçoivent cet égo de Mathilde de manière puissante, et je pense que ça les rejoint dans leurs questionnements sur leur place dans leur famille, mais aussi sur la place qu’ils occupent le monde.»
Dans la version créée en 1991, deux acteurs jouaient tous les rôles en mutlipliant les changements de costume et les jeux de substitution et de déplacement des objets et des accessoires. La nouvelle mouture s’éloigne de cette esthétique de bric et de broc pour proposer un jeu d’acteur plus traditionnel. «Mais, dit la metteure en scène, on a préservé le rapport avec la tradition du conteur et le rapport avec la musique, qui est très important. Sur scène retentissent des comptines revisitées par Joel Da Silva: ce sont des comptines du quotidien, très connues, très universelles, que nous réinterprétons et qui sont en dialogue constant avec la fable et avec les questionnements de Mathilde.»