Circus incognitus / Entrevue avec Jamie Adkins : Le clown qui connaissait le sens de la vie
Scène

Circus incognitus / Entrevue avec Jamie Adkins : Le clown qui connaissait le sens de la vie

Voici le plus rigolo et le plus ingénieux des clowns maladroits. Dans Circus incognitus, un minimaliste et réjouissant spectacle de cirque burlesque, Jamie Adkins s’amuse avec une échelle, un fil et des balles de ping pong. L’air de rien, il transforme le quotidien en espace de virtuosité.

Originaire de Californie, Jamie Adkins est fier d’avoir résisté à plus d’une dizaine d’hivers québécois depuis qu’il s’est installé chez nous pour étudier à l’École de cirque et pour collaborer à certains spectacles du Cirque du Soleil et d’Eloize. Mais son truc, c’est le cirque minimaliste. Les méga-productions ne l’intéressent plus guère depuis qu’il arrive à créer à lui seul, sur une toute petite scène, un monde circassien complet. Jongleur, acrobate, équilibriste, fil-de-fériste: il embrasse toutes les disciplines et les réinvente dans un spectacle qui flirte autant avec le burlesque qu’avec le dessin animé. «Ce qui m’intéresse le plus, dit-il, c’est voir sur scène un clown s’essouffler, se tromper et suer. Et c’est ce que je fais». Nous lui avons posé quelques questions.

 

VOIR: On vous compare souvent à Buster Keaton. Revendiquez-vous cette influence?

JAMIE ADKINS: Je suis un passionné du stand-up comique. Beaucoup d’humoristes m’inspirent. J’ai d’ailleurs l’impression que je fais du stand-up sans les mots, du stand-up physique et clownesque. Mais je suis aussi inspiré par les dessins animés, mon univers est cartoonesque: tous les films de Warner Brothers, comme la série des Bugs Bunny, ont été à la base de mon travail sur ce spectacle. Comme ces dessins animés sont eux-mêmes inspirés de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton, donc de l’âge d’or burlesque américain et des films muets, je suis indirectement influencé par le burlesque.

VOIR: Votre personnage de clown maladroit débarque sur scène dans le but d’exprimer quelque chose d’important, qu’il n’arrivera jamais à énoncer. À cause de cette incapacité et de cette attente perpétuelle avant l’accomplissement final, certains critiques ont vu des similarités entre votre travail et la dramaturgie de Samuel Beckett. Qu’en dites-vous?

JAMIE ADKINS: Je suis comme mon personnage, qui est sans doute un peu beckettien même si j’avoue ne pas bien connaître son œuvre. C’est un personnage qui est dans l’échec à répétition, qui ne réussit pas ce qu’il souhaite accomplir et qui, ironiquement et de manière absurde, réussit des choses qu’il n’avait pas l’intention d’accomplir. La vie, c’est ça. On essaie toute notre vie d’être quelque chose que, bien souvent, on n’est pas. Et on atterrit là où on ne s’imaginait pas, mais il faut accepter ces aboutissements imprévus et improbables qui font le sel de la vie. C’est pour ça que j’aime les clowns: ils arrivent sur scène avec un ukululélé mais n’en joueront jamais et vont plutôt faire des tonnes d’autres choses inattendues.

VOIR: Il y a donc en filigrane une réflexion sur la fragilité de la vie, sur les échecs qui constituent l’existence, sur les essais et erreurs qui fondent nos parcours dans ce monde?

JAMIE ADKINS: Mon personnage est un clown maladroit: il se met les pieds dans les plats, il reçoit des baffes. Il expérimente, en condensé et à travers un certain ludisme, tous les coups durs qu’on reçoit dans nos vies, mais il se relève et il continue son chemin. Ce spectacle est une métaphore de l’humain qui se relève malgré les écueils, du désir de vivre qui est si fort malgré les instabilités humaines et les malheurs. Quand j’apprenais à jongler, c’était une tragédie chaque fois que j’échappais une quille. Mais je suis un jongleur alors je recommençais jusqu’au succès, ou jusqu’à satisfaction de mes objectifs personnels. Chaque erreur est une occasion de se reprendre et, parfois, de découvrir des nouveaux chemins plein de promesses.

VOIR: Parlez-moi de votre parti-pris de faire du cirque sans trapèze, sans accessoires traditionnels de cirque, avec des objets du quotidien.

JAMIE ADKINS: J’utilise une échelle, une fourchette, des fruits, du papier, des balles de ping-pong. Je suis un gars normal qui fait du cirque avec des objets du quotidien – il ne s’agit pas d’entrer dans la logique virtuose du numéro de cirque, mais plutôt d’observer en action la poésie des objets usuels.

VOIR : À qui s’adresse le spectacle?

JAMIE ADKINS : C’est un show familial, pas strictement pour les enfants. Je l’ai conçu pour les adultes, d’abord, mais il fonctionne vraiment sur deux degrés de lecture: les enfants et les adultes ne rient pas et ne réagissent pas toujours aux mêmes endroits. Et cette double lecture du spectacle est très importante pour moi.

De retour à la Tohu du 29 février au 5 mars 2016