Claude Poissant / Marie Tudor : La reine-monstre
Il fut une époque où Claude Poissant multipliait les mises en scène de grands textes du répertoire. Voilà qu’il y revient en montant Marie Tudor, de Victor Hugo, au Théâtre Denise-Pelletier.
Son hiver sera chargé alors que plusieurs de ses récents spectacles reprennent l’affiche. Mais le plus gros défi de Claude Poissant en 2014 sera assurément cette mise en scène de Marie Tudor, un drame romantique que Victor Hugo a écrit en imaginant une temporalité insaisissable. La pièce est divisée en quatre parties et est étalée sur un très incertain nombre de jours, mais elle est surtout d’une grande densité. De plus, le déchirement qui la parcourt, entre passion amoureuse et enjeux politiques, est vertigineux. Comme dans toutes les pièces romantiques, me direz-vous. Oui, mais celle-ci est structurellement plus atypique que les autres.
Pourquoi revenir au répertoire? «Je ne pensais pas du tout que ça me manquait, répond-il. Jusqu’à ce que je me plonge dans le texte. Ce n’est pas le classique que je rêve de monter depuis toujours, mais en lisant Marie Tudor, j’ai eu le même sentiment que quand j’ai lu Lucrèce Borgia, le même désir de déchiffrer cette pièce très vaste, mais surtout captivante: c’est un "page-turner", un divertissement implacable, avec un contenu vertigineux et un délicieux mélange des genres, entre le drame romantique, le mélodrame et le théâtre surpsychologique.»
Politique, poésie, lyrisme, peinture de caractères et psychologie: tout y est. Hugo fait de la reine Marie Tudor un personnage aussi monstrueux qu’attachant. Amoureuse de Fabiani, promise au prince Philippe, elle se liera d’amitié avec Jane, la jeune protégée de l’ouvrier Gilbert, et elle provoquera de nombreux conflits dans toute l’Angleterre. «C’est un monstre, poursuit Poissant, et on devrait la détester. Le peuple la condamne et elle abuse de son pouvoir. Elle se venge de toute forme de trahison par des manipulations, par la névrose, par la flatterie, la stratégie. Mais tout est en place dans cette pièce pour qu’on la comprenne, qu’on l’aime.»
C’est une histoire d’amour, une histoire politique, un thriller: tous les angles sont possibles pour approcher cette pièce. Poissant n’a toutefois pas voulu en faire une relecture radicale. «Avec le temps dont on disposait, il était vain de faire des choix trop campés. Je pense qu’il fallait surtout créer un espace pour que tout ça se déploie, dans toute son ampleur.»
L’accent est donc mis sur le jeu des comédiens, autour de la reine interprétée par Julie Le Breton. Mais la mise en scène de Poissant est aussi marquée par la musique, interprétée en direct par la troupe. «C’est une manière pour moi de souligner la grande place du peuple dans cette pièce. Ce n’est pas facile à représenter, mais le peuple est très présent dans l’écriture de Victor Hugo et, dans ma mise en scène, les comédiens se transforment en musiciens en deux temps trois mouvements et jouent souvent en groupe: ils forment une petite communauté qui a le désir de s’exprimer. Une sorte d’expression de la démocratie, malgré la hiérarchie profonde entre les personnages.»