Tu te souviendras de moi / Entrevue avec François Archambault : Mémoire accidentée
Au Québec, il est l’un des rares auteurs dramatiques à savoir si bien dénicher le comique dans les situations les plus funestes. Imaginant la relation conflictuelle entre un historien vieillissant et une jeune femme aux idées neuves, François Archambault ausculte les fractures générationnelles québécoises dans sa pièce Tu te souviendras de moi.
Perdre la mémoire quand on a consacré sa vie à l’histoire, c’est une tragédie en soi. Le personnage qu’a écrit François Archambault pour le comédien Guy Nadon est cet homme qui a toute sa vie scruté le passé en recherche de réponses pour apprivoiser le présent et qui, atteint d’Alzheimer, perd le contrôle de son univers mental. Situant cette intrigue dans un Québec en proie, comme le reste du monde, à la surmédiatisation de soi et à la sursaturation de l’information, l’auteur réfléchit à une société en profonde mutation, à un indéniable changement de paradigme. Pendant qu’un monde disparaît, un autre renaît. Meilleur ou pire que l’ancien? La question demeurera ouverte.
Au départ, c’était une histoire fort intime que voulait raconter Archambault, s’inspirant de sa propre relation avec son beau-père atteint de la maladie d’Alzheimer. «À force de le côtoyer, dit-il, j’avais envie d’écrire à son sujet, mais je ne désirais pas en soi parler de la maladie ou de ses douleurs. Ce qui m’intéresse bien davantage est le rapport à la mémoire, au temps présent, à la valeur des choses, à la trace qu’on laisse chez les autres. On est dans une période où tout le monde veut laisser une trace de lui-même, veut exister plus fort que l’autre, et le personnage n’échappe pas à cette tendance même s’il pense être le représentant d’une autre époque, où le savoir et la culture comptaient davantage que l’exposition de soi. C’est un personnage plein de contradictions. Je ne voulais pas en faire une victime. Il est affaibli, mais c’est un personnage fort, il ne veut pas disparaître, il veut transcender sa petite existence.»
«Souvent, ajoute-t-il, quand on traite de ces sujets là, on sort les violons. Je voulais plutôt que les situations cocasses causées par la maladie soient perçues comme telles, qu’il y ait du comique. Dans la vie, la tragédie côtoie le drame constamment. J’ai toujours écrit à partir de cette zone, à partir de cet inconfort. Ai-je le droit de rire ou non devant une situation terrible? C’est la question que le spectateur se posera pendant le spectacle. Je la trouve saine.»
Edouard (c’est son nom), passe quelques jours chez sa fille, où il torture son beau-fils et la fille de celui-ci, une certaine Bérénice, avec son discours colérique sur le Québec en déclin, sur la dissolution de la culture et sur la déliquescence de toutes choses. Pour lui, la société est en plein cœur de son inéluctable chute et l’oubli du passé mènera le monde à sa perte. Après moi, le déluge, semble-t-il dire, pendant que devant lui la jeune Bérénice lui oppose une autre vision, réussissant presque, peu à peu, à le faire abandonner sa vision étroite d’un monde pourtant complexe, en pleine mutation.
«La pièce glisse doucement du monde d’Edouard jusqu’au monde de Bérénice, explique François Archambault. D’un rapport classique aux idées, on passe à un rapport plus instantané avec elles. Edouard va laisser une trace chez Bérénice. Et elle fera de même chez lui. Il y aura une rencontre entre les deux générations. J’ai écrit ça quelques mois avant les événements du printemps érable, sans doute cette révolte en préparation a-t-elle pénétré les couches inconscientes de mon écriture. Les carrés rouges ont créé une friction des générations. Ça réveillé une démocratie en dormance, un désir de se parler, de dialoguer entre les générations. Sans l’avoir décidé concrètement, j’ai inclus cette situation dans l’arrière-plan de ce texte.»
La rencontre ne sera certes pas apaisante. Mais fort nécessaire.