Alexandre Goyette / Cock : Triangle identitaire
Scène

Alexandre Goyette / Cock : Triangle identitaire

«Je veux juste faire un bon show», lance Alexandre Goyette au sujet de Cock, la pièce de Mike Bartlett qu’il a traduite, qu’il met en scène et dans laquelle il joue. Un travail sans prétention, précise-t-il, mais qui attire la curiosité en raison de son trio de personnages aux amours entremêlées.

De l’Angleterre nous parviennent sans arrêt d’excellents textes réalistes, portés par une langue à couper au couteau et des personnages énigmatiques qui usent d’humour noir pour parvenir à leurs fins. Dans Cock, pièce au titre choquant pour les oreilles anglo-saxonnes, Mike Bartlett évoque autant l’anatomie masculine que l’animal arrogant qui attaque son prochain dans le gallodrome. Car c’est une pièce sur le sexe homo et le sexe hétéro, mais c’est surtout une pièce sur les rapports de force qui président aux relations humaines. On y rencontre John (Michel-Maxime Legault), jeune homme soudainement déchiré entre son partenaire de longue date (Alexandre Goyette) et une femme flamboyante qu’il vient de rencontrer (Geneviève Côté) avec qui, comme le dit Goyette, il a «pogné en feu». Bref, un triangle amoureux teinté de bisexualité, mais surtout dominé par des jeux de pouvoir et de manipulation.

«C’est aussi, précise le metteur en scène, un show sur l’identité, sur des personnages en mal d’amour qui cherchent qui ils sont à travers des relations extrêmes. C’est une pièce sur l’angoisse de ne pas savoir qui est l’autre devant nous et, par le fait même, de ne pas se retrouver soi-même à travers cette rencontre. John est un drôle de personnage, une sorte de caméléon, une page blanche sur laquelle les deux autres personnages dessinent ce qu’ils veulent. Il est malléable. Ça fait en sorte que la plupart des relations qu’il entretient avec les autres sont malsaines, à tout le moins incomplètes.»

Sommes-nous ce que les relations sociales ont fait de nous ou sommes-nous ce que nous dicte notre nature propre? L’identité est-elle innée ou se construit-elle dans le social? Ce sont quelques-unes des questions posées par cette vertigineuse partition, dans laquelle intervient aussi un quatrième personnage que ce triangle amoureux bouscule d’une autre manière: le père de John (interprété par Daniel Gadouas). «Chacun de ces personnages, dit encore Goyette, se définit selon un éventail de possibilités. La pièce explore en quelque sorte l’éventail identitaire. Quand ils se retrouveront tous les trois assis à la même table pour mettre cartes sur table, ce sera explosif.»

Parce que leur identité est fort malléable, Goyette a aussi voulu éloigner son personnage de l’interprétation qu’en faisait l’acteur anglais Andrew Scott dans la production du Royal Court à Londres. «Dans la production londonienne, les deux gars étaient semblables, plus frêles, ils avaient le même casting. Or, ce n’est pas comme ça que je les imaginais, et je voulais que l’un des partenaires dans ce couple ait une masculinité plus traditionnelle. Un mâle alpha même. J’ai des collègues comédiens qui ne sont pas à l’aise de jouer les homosexuels, et j’ai cherché, cherché, sans jamais trouver. Il me fallait un comédien qui n’a aucune gêne à évoluer dans ces territoires-là. C’est alors que Geneviève m’a dit: "Alex, tu devrais le jouer toi-même, le comédien que tu cherches, c’est toi!" Et comme personne ne pense jamais à moi pour jouer des homosexuels, je me suis dit que c’était ma chance, que c’était maintenant ou jamais.»

Ce sont les privilèges d’un acteur-traducteur-metteur en scène que d’imprimer à une pièce une vision toute personnelle. Goyette dit faire un travail sobre et respecter l’esprit du texte. Sa mise en scène sera d’ailleurs modeste: c’est un texte réaliste qui ne se prête pas vraiment à un travail conceptuel. Mais l’écriture de Bartlett, dit-il, lui fait penser à George F. Walker dans la série Motel de passage.

«C’est une écriture-limite et des personnages aux frontières du vraisemblable. Les dialogues sont réalistes, mais la situation est profondément théâtrale et les personnages le sont aussi. Je me suis donc permis, dans la traduction, un regard personnel. Mon personnage n’est pas écrit exactement comme ça en anglais, et à la première lecture, je le voyais plus grandiloquent et plus excentrique, mais plus je travaillais ses répliques, plus je le découvrais sous un autre jour. Comme me dit souvent ma blonde, j’ai une belle féminité même si on ne me perçoit pas comme ça en général. C’est rare qu’on me fait jouer des personnages qui me permettent d’explorer ça.»

Prêts pour un combat de coqs teinté de sensualité? Ça se passe à l’Espace 4001, mais il faut faire d’abord un détour par la billetterie du Théâtre d’Aujourd’hui pour se procurer un billet.