Unknown body : Danse avec les morts
Scène

Unknown body : Danse avec les morts

Présentée au Théâtre de Quat’Sous, où Jocelyne Montpetit est en résidence pour trois ans, Unknown Body est sa pièce la plus aboutie des dernières années. Un petit chef-d’œuvre qui séduira les amateurs d’arts visuels autant que les fans de danse minimaliste et habitée.

Est-ce parce qu’elle a fini de rendre hommage aux maîtres qui l’ont inspirée, parce qu’elle s’est ressourcée au pays du butô qui irrigue sa danse, et parce qu’elle a encore triomphé au Japon tout récemment ? Toujours est-il que Jocelyne Montpetit irradie comme jamais dans Unknown Body. Alimentée par La Passion selon G.H. de Clarice Lispector et L’Origine du monde de Pascal Quignard, son exploration des ténèbres du corps archaïque fait surgir un spectacle d’une profondeur bouleversante, d’une intensité captivante et d’une beauté rare. Elle y fait vivre et mourir les fantômes des ruines de L’Aquila – ville italienne ravagée par un tremblement de terre, où elle a dansé pour le photographe Paolo Porto – et nous tient par les tripes du début à la fin.

L’espace, si important dans son approche, est occupé de cour à jardin par une immense peinture qui isole l’arrière-scène tout en laissant une circulation possible au sol, symbole du mystère et de la fine frontière qui sépare la vie de la mort. C’est entre ces deux mondes que la danseuse débute son voyage, allongée, presque nue. Les voix féminines d’un requiem de Preisner accompagnent les mouvements de ce corps gisant qui reviendra, vers la fin du spectacle, se poser franchement dans le territoire identifié de l’au-delà. Avant cela, son linceul, fine toile cirée transparente aux tons ocre, aura tour à tour évoqué l’enveloppe corporelle qu’on quitte ou qu’on intègre, le cocon où grandit la belle chrysalide, le fardeau que l’on traîne, la flaque d’eau où s’ébroue l’animal… Et tout ce que l’imaginaire du spectateur aura aimé projeter sur les métamorphoses successives et sur les personnages parfois insaisissables que Montpetit habite toujours d’une présence remarquable.

Affirmant la spécificité de sa signature, la chorégraphe n’hésite pas à marquer plus précisément l’influence du mime corporel autant que du butô. Elle semble jouer avec un plus large registre de sensations internes qu’à l’habitude, laissant affleurer le sentiment d’une douce jouissance autant que celui de la souffrance ou de l’inquiétude. Navigant dans les univers musicaux contrastés et évocateurs de Preisner, Bach, Arvo Pärt et Masaru Soga, elle passe par différents âges, formes et états. Et contrairement à ses dernières œuvres, elle glisse subtilement d’une transformation à l’autre sans trop quitter la scène et n’abuse pas des changements de costume. Cela contribue grandement à la force du spectacle tout comme le fabuleux travail du scénographe Daniel Séguin, de l’éclairagiste Marc Parent et des costumières Odile Gamache et Patrizia Pepe, qui produisent une galerie de tableaux dans lesquels se fond parfois littéralement le corps de Montpetit, nous offrant de grands moments de grâce qui confinent au sublime. Un must cet hiver.