Porgy and Bess : Grandes premières à l’Opéra de Montréal
L’Opéra de Montréal nous offre enfin une première production du Porgy and Bess de Gershwin, et on a droit à une grande réussite.
Porgy and Bess (1935) apparaît encore aujourd’hui comme un ovni dans le monde de l’opéra, et pas seulement parce que l’on y chante en slang les vertues de la cocaïne et la petite vie d’une communauté tout juste sortie de l’esclavage, mais surtout parce qu’il n’est pas si facile que ça de monter une production qui exige que la presque totalité de la distribution ait la peau noire (seule exception: les méchants, c’est-à-dire les policiers). Et c’est sans doute encore moins facile pour une production qui voudrait bien inclure quelques artistes locaux (canadiens ou québécois), comme on aime bien sûr le faire à l’OdM.
La distribution de l’opéra de George Gershwin est donc majoritairement américaine, mais le Canada commence à voir émerger depuis quelques années des voix parfaitement capables de s’y joindre, à commencer par celle de Measha Brueggergosman, à qui on a confié le rôle de Bess. Révélée par l’édition 2002 du Concours musical international de Montréal (où elle a rafflé le premier grand prix, le prix du public, le prix d’interprétation de l’œuvre canadienne inédite et le prix Jean A. Chalmer), la soprano fait ses débuts à l’OdM, et elle ne rate pas son coup! Elle capte notre attention sans effort et elle a bien la voix d’un premier rôle, sa reprise de Summertime faisant d’ailleurs quelque peu pâlir celle de Clara (Chantale Nurse, aperçue l’année dernière dans Dead Man Walking).
Il y a aussi, bien sûr, Marie-Josée Lord, qui se glisse dans la peau de Serena, un rôle qu’elle a demandé, parce que, nous disait-elle en octobre dernier: « Mon premier contact avec cet opéra s’est fait à travers My Man’s Gone Now, qui est carrément le premier air d’opéra que j’ai préparé quand j’ai commencé à chanter, et que j’ai chanté souvent par la suite. Je sais que je peux apporter quelque chose à ce personnage. » Outre ses qualités personnelles, qui sont grandes, la soprano est la seule francophone de la distribution, ce qui contribue peut-être à donner une saveur distinctive à son personnage.
Mais les grands rôles sont surtout masculins dans Porgy and Bess, et on doit certes saluer l’excellent travail de Kenneth Overton, dans le rôle de Porgy, et celui de Jermaine Smith, dans les beaux habits du pusher Sportin’ Life. Deux rôles à l’opposé l’un de l’autre, le premier passant la soirée sur les genoux (littéralement), tandis que le second a en permanence le diable au corps, mais surtout deux remplacements de dernière minutes qui nous donnent encore deux premières présences à l’OdM, et de grande tenue. Cependant, la palme de la performance vocale revient sans doute au baryton Lester Lynch, le méchant Crown, auquel le compositeur a réservé de superbes lignes, à défaut d’un air très populaire (c’est Porgy qui chante I got plenty o’ nuttin, et Sportin’ Life qui balance avec tout son bagou l’irrésistible It ain’t necessarily so).
On salue bien bas la présence du Montreal Jubilation Gospel Choir, sans faute. Le chef britannique Wayne Marshall fait un excellent travail devant l’OSM, et ce dès le déferlement percussif d’ouverture. La mise en scène de Lemuel Wade, dans les ingénieux décors de Kenneth Foy éclairés avec brio par Anne-Catherine Simard-Deraspe, contribue à faire de cette coproduction avec neuf partenaires américains une très grande réussite, que récompense à l’avance un guichet fermé pour toutes les représentations. Souhaitons que cela inspire à l’OdM le désir d’explorer encore davantage le répertoire opératique américain.