The nutcracker : Talons aiguilles et noix de Grenoble
Avec The Nutcracker présenté à Tangente, Maria Kefirova livre une réflexion ingénieuse sur la performativité du quotidien, où on rit à gorges déployées.
Dans l’une des dernières nouvelles de Franz Kafka, Joséphine la cantatrice ou le Peuple des souris, un artiste s’enhardit à casser des noix sur scène et le public est subjugué. C’est ce qui arrive dans The Nutcracker, la nouvelle création de Maria Kefirova où elle conjugue la performance, le travail du son et la danse contemporaine.
Dans cette pièce conçue lors d’une résidence à Circuit-Est, Maria Kefirova détourne des objets du quotidien: des microphones, des haut-parleurs dont l’un est attaché à une poulie, un bonnet, une poubelle, une porte en bois, des talons aiguilles, une lampe de poche, des gants de jardinier… De ces objets banals, la performeuse fait un usage très inventif, empli de drôlerie et de poésie.
En particulier, on voit Maria Kefirova pianoter de manière incongrue sur un téléphone cellulaire, qui s’avérera être un enregistreur. Grâce à l’appareil, aux micros et aux haut-parleurs, la performeuse fabrique sa propre trame sonore, axée sur des martèlements et des battements. Entre autres, elle pose l’enregistreur sur sa poitrine, écoute un morceau préenregistré et s’efforce par le mouvement de faire correspondre les battements de son cœur aux pulsations sonores, tapant à une porte de bois. Une fois le rythme trouvé, elle enregistre un nouveau morceau, l’écoute et reproduit les sons entendus dans son corps, par des gestes et des contractions. Le dispositif utilisé lui permet aussi de décentraliser la bande-son dans l’espace et de faire corps – littéralement – avec les haut-parleurs disséminés sur scène.
Assise par terre, la jeune femme encercle avec ses membres un haut-parleur dans une étreinte tendre et vibratoire. Elle suspend l’appareil grâce à la poulie, lui imprime un mouvement de pendule et laisse l’énorme engin tourner tout seul. Elle joue à avancer vers le haut-parleur en mouvement, se cambrant en arrière pour éviter le retour du balancier, au son d’un morceau de musique de La Cumbia. Autre moment particulièrement marquant, la « danse des sept micros », où elle lance les micros à la manière de lassos qui reviennent toujours vers elle, créant des sonorités puissantes.
Basée sur un travail exigeant de recherche, la création de Maria Kefirova n’en est pas moins jubilatoire et accessible à une diversité de publics. D’une grande finesse, les propositions y sont tellement nombreuses qu’elles donnent le tournis et qu’on souhaite par moments pouvoir s’immerger plus longuement dans certaines d’entre elles.
Le point d’orgue de la pièce est le cassage de noix de Grenoble, manière Maria Kefirova : debout ou par terre avec la plante nue des pieds, en sautant à pieds joints avec des talons aiguilles et dans le noir, à l’aide d’une lampe de poche. La performeuse se transforme même en flamenca débridée, dansant au son de l’explosion des coques.
Dans The Nutcracker, le son et le mouvement se nourrissent l’un de l’autre, sans machines sophistiquées. Maria Kefirova y propose une ingénierie organique du son, à ne pas rater.