Far / Entrevue avec Catarina Carvalho : Le corps au défi
La répétitrice Catarina Carvalho compte parmi les 10 danseurs de Wayne McGregor qui, avec FAR, viennent déjouer nos certitudes sur le corps et sur le mouvement.
Âgé de 44 ans et bardé de prix, artiste en résidence au Royal Ballet de Londres et au Sadler’s Wells (la Mecque londonienne de la création contemporaine), auteur de chorégraphies pour le théâtre, l’opéra, le cinéma et la scène musicale, Wayne McGregor est l’un des chorégraphes les plus en vogue en Europe et aux États-Unis. Il est aussi l’un des plus allumés. Fan de technologies et de sciences cognitives, il poursuit l’étude des relations entre cerveau et mouvement dans cette œuvre qui fait suite à Entity, présentée en 2011 par Danse Danse.
«FAR est l’acronyme de Flesh in the Age of Reason, un livre de Roy Porter qui explique comment les façons de penser le corps et l’esprit ont changé au siècle des Lumières, explique la danseuse Catarina Carvalho, membre de la compagnie Random Dance depuis six ans. Il est relié au travail de Wayne et a servi depoint de départ à la création. Le titre, qui signifie le lointain, réfère aussi à la notion du corps comme élément minuscule perdu au sein de l’immensité de l’univers.»
Associé depuis plus de 10 ans au département de Psychologie expérimentale de l’Université de Cambridge, McGregor y participe avec ses danseurs à des recherches qui viennent nourrir sa démarche artistique. «Cette fois, ils cherchaient à comprendre ce qui se passe dans nos têtes au moment de la création pour essayer de le contrôler, de modifier les mécanismes de la pensée et de déjouer nos réflexes, poursuit Carvalho. On est très présent dans cette recherche et ça nous amène à développer une physicalité à laquelle on n’aurait jamais pensé. Ce qui me marque personnellement, c’est que Wayne arrive toujours en studio avec de nouvelles idées qui me surprennent et qui m’inspirent. Ça a déjà beaucoup ouvert mes perspectives sur la façon de penser le mouvement.»
Très fluide, la gestuelle extrême de McGregor n’en est pas moins contre nature et exigeante pour les danseurs. Toute en extensions, contorsions et oppositions, elle est exécutée à grande vitesse, montre des corps sur-articulés et fascine autant par son étrangeté que par sa virtuosité. Dans FAR, elle a été créée à partir de nombreuses images comme celles des corps distordus du peintre Francis Bacon, de planches anatomiques tirées de L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ou des impressionnants instruments utilisés pour les toutes premières autopsies. «On travaille aussi souvent à partir de visualisations, précise la danseuse. Ça peut être d’imaginer un objet original très spécifique, de le visualiser dans l’espace en 3D et de le décrire en mouvements par la façon dont on va organiser notre corps.»
Abstraite, la pièce est bourrée de références à ces deux ouvrages du XVIIIe siècle, comme certaines paroles glissées dans la bande son composée par Ben Frost et les symboles que dessine subtilement Lucy Carter avec les splendides jeux de lumières de 3000 ampoules LED plantées sur un immense panneau en fond de scène.