Cock : L’homosexualité appartient aux baby-boomers
Le sexe n’est pas qu’échange de fluides et de caresses. Oh non. Pas dans Cock, objet théâtral aux dialogues de haut voltage que met en scène Alexandre Goyette ces jours-ci. La pièce de Mike Bartlett (encore un Anglais maîtrisant la répartie cinglante et rythmée) fait du sexe une affaire d’identité torturée.
L’idée la plus intéressante et la plus joliment tournée de cette pièce rythmée et verbomotrice? L’homosexualité est une catégorie sexuelle qui fut nécessaire à l’époque des baby-boomers mais qui est devenue castrante et paralysante parce que, désormais, elle coince la sexualité dans de trop petites cases. C’est comme ça que John finira par exprimer comment il se sent quand, décontenancé par sa nouvelle idylle avec une fille, il découvrira qu’il a cru à tort qu’il était purement homosexuel. Et qu’au fond, il se fout éperdument d’être gai ou hétéro car il a envie, tout simplement, d’aimer et d’être aimé.
Simpliste? Pas vraiment. Car cette découverte plongera John dans une grave crise identitaire et réduira à néant sa personnalité. Qui es-tu?, ne cesse-t-on de lui demander quand il annonce être amoureux de la jolie blonde qu’il a rencontré dans la rue et à qui il ne cesse de penser. Comme si sa sexualité suffisait à le définir. Bien de son époque, la pièce de Mike Bartlett est un appel au décloisonnement. Que la sexualité règne et rende les hommes heureux, semble-t-il dire, mais au diable les longs questionnements sur l’orientation sexuelle, qui empêchent les gais et les hétéros d’expérimenter ce qu’ils doivent expérimenter de l’autre côté de leurs placards respectifs.
Au moment où j’écris ces lignes, le magazine Slate publie la très intéressante réflexion de Zach Howe, rédacteur en chef d’un webzine américain qui analyse que «les hommes, dans notre société, n’ont pas le droit à une sexualité complexe».
«Une fois la présomption d’hétérosexualité ébranlée, écrit-il, un type est automatiquement catalogué homo. Cette version des choses donne peu de liberté d’exploration avec le même sexe, même fugace, sans un engagement permanent.»
Si ces questions vous turlupinent, vous prendrez votre pied pendant la représentation de Cock, qui met en scène John (Michel-Maxime Legault) dans une insoutenable conversation avec son copain de longue date (Alexandre Goyette) et sa nouvelle flamme (Geneviève Côté). Sans négliger la profondeur des enjeux psychologiques, le dialogue est incisif, porté par des personnages cinglants qui ont de la répartie et de l’autodérision et qui, tout en plongeant au plus profond d’eux-mêmes, cherchent à ne pas laisser voir leur craquèlement intérieur. Une lutte entre soi et l’image de soi, dans un monde d’interactions cruelles où les rapports de force se manifestent avec beaucoup de férocité. Mais tout le monde finira par se briser en petits morceaux et c’est la faute de ce damné sexe qui complique toujours tout.
Pas évidente, cette partition dramatique aux répliques imparables oscille constamment entre le ton du drame psychologique et celui de la franche comédie. Alexandre Goyette, qui a traduit le texte (très efficacement), s’est aussi donné le rôle du metteur en scène, en plus de jouer l’amant éploré de John. Quelque part dans les interstices de ces trois rôles, il a un peu perdu la maîtrise de ce ton très particulier. Sa mise en scène, ainsi que son interprétation, penchent légèrement trop du côté de la comédie à certains moments, et légèrement trop du côté du drame frontal à d’autres moments, en flirtant parfois trop grossièrement avec les stéréotypes. Bref, il y a un problème d’équilibre, ou de dosage, dans ce travail réalisé avec coeur et à la bonne franquette, avec un appétit palpable pour l’écriture jouissive de Bartlett.
Rien pour briser le plaisir du spectateur dans cette pièce qui sollicite autant la pensée que le rire primitif. Mais on sent tout de même un décalage involontaire entre le texte et son traitement scénique, probablement dû au temps limité consacré aux répétitions. Ce qui est certain, c’est que la pièce vous mènera à réfléchir ardemment à votre propre sexualité. C’est déjà beaucoup.