Loveloss / Michael Trent : Le deuil dans la peau
Le chorégraphe Michael Trent débarque de Toronto avec sa troupe de danseurs-performeurs rompus à l’improvisation et à l’imprévisibilité. Dans Loveloss, les corps se tendent pour survivre au deuil et à la perte.
Jadis, il s’inspirait de sa propre gestuelle pour inventer un langage chorégraphique. Désormais, le Torontois Michael Trent réunit des danseurs pour faire la conversation et créer des œuvres performatives à partir de leurs perspectives et de leurs mouvements libres. Si le matériau de base de Loveloss est autobiographique (la mort de sa mère), il a servi de prétexte pour aborder, au sens large, la notion de perte. Quand l’amour disparaît, quand l’être cher a quitté ce monde ou s’est tout simplement enfui, le corps réagit puissamment au manque. «Comment survivre à la disparition? On a réalisé, dit le chorégraphe, que le corps y réagit par étapes, qu’il s’acclimate doucement à l’inéluctabilité de la disparition par un lent processus. La pièce traque cette perte à même la chair, à travers une recherche corporelle sur la tension, le rythme, ainsi que les relations spatiales avec les autres.»
Le deuil se vit d’abord seul. Mais autour de lui se construit parallèlement un rare espace de rassemblement, de rituel. Intrigué par ce beau paradoxe, Michael Trent a naturellement imaginé un spectacle qui explore de tout son long les relations entre l’individualité et l’appartenance au groupe. «C’est le trajet d’une personne, dit-il, mais il est partagé par les autres, comme un spectacle solo qui serait discrètement accompagné par un groupe. On a d’ailleurs décidé de placer les spectateurs autour de la scène dans une grande proximité, pour qu’ils soient partie intégrante de ce rituel, qu’ils le ressentent de manière sensorielle à travers la promiscuité. Le deuil peut-il être véritablement compris par l’autre? On essaie en tout cas de faire ressentir aux spectateurs l’état de vulnérabilité dans lequel se retrouvent les interprètes.»
L’imprévisibilité cultivée par la troupe va certainement contribuer à transmettre ces états de corps aux spectateurs en alerte. Plus que jamais dans le travail de Michael Trent, l’improvisation est un parti-pris, une manière d’être, un fondement incontournable. Chaque soir, le spectacle recrée un espace de spontanéité et laisse place à des éléments aléatoires.
Immanence, impétuosité, fragilité: tous ces états culminent dans une scène poétique qui semble avoir beaucoup marqué les critiques torontois par ses fortes images de corps ensevelis par le sable. «C’est un moment de bascule dans la pièce. Le sable recouvre les corps comme dans un enterrement, mais il s’agit aussi d’exposer le corps d’une autre manière, de montrer ses contours autrement et de, finalement, le révéler à travers l’ensablement. Je crois que les spectateurs sont très touchés par l’immobilisme de cette scène, par le mouvement minime du sable sur la chair.»
Après la perte, il y a la survie et la sublimation de l’être aimé. Loveloss en fait la démonstration par la chair.