Pig : Boulerice quitte doucement l'enfance
Scène

Pig : Boulerice quitte doucement l’enfance

Paul, le héros de Pig, est un personnage typique de l’imaginaire de Simon Boulerice. Mais la pièce, même si elle est un brin moralisatrice, développe pour une rare fois dans l’œuvre de l’hyperactif trentenaire des personnages secondaires très puissants.

Comme Simon dans Simon a toujours aimé danser ou Martine dans Martine à la plage, Paul est un personnage solitaire, à l’esprit débordant (et forcément isolé à cause de cet imaginaire insolite et hors-norme). C’est aussi un passionné d’art, qui se nourrit de films pointus (ici ceux de Polanski) et de culture populaire (ici les contes de fée et la vie de l’actrice Sharon Tate), se laissant influencer par son ami Sunny. La mise en scène de Gaétan Paré, d’ailleurs, navigue entre les codes du théâtre réaliste et l’ambiance d’un vieux film, avec une dose de suspense.

Paul, c’est aussi un laissé-pour-compte à la sexualité ambiguë, qui défie les convenances en portant des robes alors que sa mère voudrait le voir jouer au baseball. Il n’a que 9 ans, mais une maturité folle et un appétit grandiose pour tout ce qui lui tombe sur la main. Après Les jérémiades et Javotte, on pourrait se lasser de la récurrence de ce type de personnage dans l’œuvre de Boulerice, toujours bâti sur la même charpente. Mais par une inexplicable habileté à varier les mêmes thèmes, Boulerice réussit toujours à donner de l’unicité à ses nombreux hétéronymes. Surtout qu’ici, la personnalité de Paul trouve écho dans celle de Sunny (Philipe Robert), un jeune adulte habité du même souffle mais hélas délesté de la candeur de l’enfant. Tous les deux, en s’apprivoisant, vont apprendre à grandir ou à briser leurs chaînes.

Le comédien Gabriel Szabo donne à Paul autant de candeur que de maturité. Son physique menu et sa voix aigue lui permettent de jouer l’enfance avec un réalisme renversant, sans forcer la note, alors que la maturité de son regard s’arrime parfaitement à l’intelligence précoce du personnage.

Comme d’habitude, l’univers est douillet, gentil, naïf et même un peu moralisateur (c’est une autre fable enfantine sur le respect de la différence), mais Boulerice élargit son regard en imaginant des personnages adultes plus substantiels. Paul est le fils d’un couple de lesbiennes aux personnalités antagonistes. Phoebe (pétillante Violette Chauveau) est une femme enjouée qui cultive la tolérance et la capacité d’émerveillement. Sa copine Claire (autoritaire Marie Charlebois) s’est laissée gagner par l’amertume et la colère après un éprouvant cancer.

Elle est peut-être le plus intéressant personnage de cette pièce, du moins celle dont les contradictions poussent le spectateur à de fertiles réflexions et à de singulières remises en question de ses préjugés. Lesbienne, on suppose qu’elle a jadis été combative et ses interactions avec une témoin de Jéhovah (subtile Marie-Laurence Moreau) nous la montrent encore prête à aller aux barricades. Mais la personnalité atypique de son fils lui apparaît insupportable et indéfendable, de même que l’exubérance de la femme de sa vie. Doutes, colère, refoulements, explosions : elle est traversée d’états et de sentiments-limite qui en font un personnage fort et profondément humain. Une figure universelle dans laquelle beaucoup se reconnaîtront. Et ce, malgré l’antipathie qu’elle inspire à première vue.

C’est à travers elle que se déploie aussi une réflexion, simple mais bien canalisée, sur la foi et sa difficile réalisation dans un monde où elle s’incarne encore dans une pensée étroite, à travers le discours des institutions religieuses.

On ne va pas se plaindre du fait que l’œuvre de Simon Boulerice se déplace du côté adulte. C’est très prometteur pour l’avenir, et qui sait c’est peut-être le premier pas vers un théâtre moins candide qui aurait enfin le potentiel d’être plus bouleversant qu’attendrissant, et surtout moins anecdotique.