The seagull : On a connu Tchekhov plus contemporain
Scène

The seagull : On a connu Tchekhov plus contemporain

Metteur en scène hautement célébré en Ontario et ex-directeur artistique du Théâtre anglais du Centre national des arts (Ottawa), Peter Hinton offre aux Montréalais son adaptation de La mouette, de Tchekhov, dans une langue directe aux accents comiques. Mais il aplatit un peu les enjeux.

Selon mes sources au Canada anglais, Peter Hinton aurait bouleversé les foules avec certaines de ses récentes productions, comme Lady Windermere’s Fan et When the Rain Stops Falling. Mais pour réinventer vraiment La mouette, un texte canonique, hyperconnu et constamment réinterprété, il faut oser la vraie relecture, le point de vue singulier, le regard oblique ou perçant. Ce n’est pas ce que propose Hinton même si ses efforts pour rendre le texte contemporain sont palpables. La langue de Tchekhov, un peu plus ampoulée que le parler contemporain, devient ici une langue quotidienne, légèrement cinglante lors des échanges costauds entre Constantine et sa mère ou entre les sœurs Arkadina et Sorina (qui, dans le texte original de Tchekhov, est un personnage masculin).

Les références ont également été actualisées: ainsi Constantin évoque l’actrice Helen Mirren et Arkadina parle de Christopher Plummer. Mais tout cela est bien cosmétique, au final, et la pièce ne porte pas de point de vue original. Rien que Tchekhov n’avais pas déjà écrit, dans une langue à vrai dire plus riche et plus belle… L’adaptation sort la pièce de son contexte russe pour la rapprocher de nous mais elle ne lui ajoute rien, sinon une langue dans laquelle on se reconnaît, et un peu de drôlerie supplémentaire. Ce qui est appréciable mais peu consistant.

En proposant une actualisation campée dans un certain hic and nunc, Hinton cherche sans doute à se placer du côté de Constantine, fougueux personnage d’artiste qui s’oppose à un théâtre passéiste et traditionnel. Mais le spectacle présenté en grande première au Centre Segal est somme toute conventionnel, sa contemporanéité prend les atours du réalisme théâtral le plus commun, à la manière du bon vieux théâtre psychologique. La réflexion sur l’art, la lutte entre Anciens et modernes, paraît donc étrangère sur scène où elle ne trouve pas d’ancrage réel. Disons que pour les spectateurs montréalais, qui ont vu bien des mises en scène poussiéreuses de Tchekhov (notamment au TNM) mais aussi de nombreuses actualisations intelligentes, fragmentaires et interdisciplinaires (notamment par Serge Denoncourt ou par le Brésilien Enrique Diaz au FTA), la proposition de Peter Hinton paraît bien trop sage.

Ceci dit, les conflits entre les personnages, eux, sont clairs: lutte d’égos et d’amour brisé entre le fils et sa mère; enjeux intergénérationnels déchirants dans une opposition forte entre la jeunesse et la vieillesse (laquelle concerne presque tous les personnages); différences de vision du monde et des modes de vie à travers l’opposition ville/campagne. Tout Tchekhov se déploie là avec une certaine limpidité. Mais certainement pas de manière neuve, et sans non plus éviter le piège de la nostalgie dans lequel trop de metteurs en scène tombent lorsqu’ils abordent cette dramaturgie qui prend son temps pour exprimer le passage du temps et la vie qui s’écoule. D’une durée de plus de trois heures, cette production étire en effet le temps, mais elle n’offre qu’un tableau impressionniste des vies engourdies des personnages, ou alors les pousse à l’expression de leurs tourments dans un jeu télévisuel, souvent affecté (notamment chez Macha, interprétée par Krista Colosimo). 

L’adaptation de Peter Hinton éclaire toutefois un pan important de l’œuvre en soulignant très fermement les interrelations entre les personnages de Tchekhov et ceux de Shakespeare. Apparaissant aussi inspiré que légèrement inapte au monde, Constantine est un émule saisissant d’Hamlet et le jeu de Patrick Costello rappelle fougueusement la figure shakespearienne. La scène où sa mère (Lucy Peacock) assiste à sa plus récente création (un rappel de la célèbre scène de la souricière dans la tragédie d’Hamlet), agit ici comme une sorte de point d’orgue. Ainsi en est-il de toutes les autres scènes inspirées de Shakespeare (comme la confrontation entre Constantine et Arkadia, calquée sur celle d’Hamlet et Gertrude, ou la relation de Constantine et Nina, en plusieurs points semblables à celle d’Hamlet et Ophélie).

Il y a un certain plaisir de spectateur à naviguer là-dedans, à identifier chez Constantine les traits d’Hamlet et à y voir la figure de l’artiste et de l’intellectuel incompris par sa société. Hiton n’invente rien (tout était déjà dans la pièce originale), mais ses choix et sa direction d’acteurs tracent un chemin très insistant dans cette dimension de l’œuvre et invitent à une réflexion sur la place de l’art engagé, ou de l’artiste rebelle, dans une société canadienne qui redevient de plus en plus conservatrice.

Notez que le spectacle est présenté en anglais