Unseamly : Le harcèlement sexuel sous la loupe d'Oren Safdie
Scène

Unseamly : Le harcèlement sexuel sous la loupe d’Oren Safdie

Harcèlement sexuel et hypersexualisation dans le milieu de la mode sont au cœur des préoccupations de l’auteur dramatique Oren Safdie dans la pièce Unseamly. Celui qui travaille depuis des années à New York et Los Angeles verra enfin l’une de ses pièces présentées en grande première dans sa ville natale.

Vous ne connaissez pas Oren Safdie? C’est que ce natif de Montréal a fait carrière depuis ses débuts aux États-Unis, où son nom circule abondamment. Fils du célèbre architecte Moshe Safdie (oui, oui, celui qui a conçu Habitat 67), l’auteur a tout de même gardé des liens avec Montréal et se préoccupe même un peu du Québec dans son œuvre: il a notamment écrit une comédie musicale très incisive, inspirée d’Un violon sur le toit et campée dans un Québec déchiré par les tensions politiques et linguistiques (Fiddler Sub-Terrain, présenté en 2001 à New York à La MaMa). À l’époque, le journaliste Richard Hétu, de La Presse, avait écrit qu’«à New York, la pièce n’a pas soulevé de vagues mais qu’au Québec, elle vaudrait sans doute à Safdie quelques tomates.» Vous le connaissez peut-être aussi pour le film You can thank me later, qui met notamment en scène les comédiennes Macha Grenon et Geneviève Brouillette, mais aussi Geneviève Bujold et Ellen Burstyn.

Reste que c’est la première fois qu’on voit une de ses pièces à Montréal et la première fois qu’un de ses textes est monté par une compagnie montréalaise. C’est Guy Sprung, d’Infinitheatre, qui a pris la chose en charge avec Sarah Carlsen.

Le récit? Une jeune femme qui travaille dans le monde de la mode accuse son patron d’harcèlement sexuel. Mais la pièce ne prend pas position et se construit de manière à laisser le spectateur se faire sa propre opinion, en juxtaposant les deux versions des événements. «Les conclusions des spectateurs seront différentes selon leurs propres valeurs ou selon leur compréhension des enjeux, explique Safdie. Dans ce genre de situations, on ne peut généralement pas porter de jugement trop rapidement: c’est complexe, il y a beaucoup de choses en jeu et il est clair que l’homme aura une version des faits qui diffère de celle de la femme. Je voulais me mettre à l’écoute des deux versions car je n’aime pas quand le théâtre est sentencieux ou quand il se fait justicier: c’est d’un ennui mortel et ça réduit l’humanité à des principes réducteurs. Je veux faire tout le contraire.»

L’histoire ressemble drôlement à ce qui est arrivé au cousin d’Oren Safdie: nul autre que Dov Charney, fondateur et grand manitou d’American Apparel. Les déboires du coloré personnage ont évidemment inspiré l’auteur mais il a aussi puisé dans de nombreux cas similaires, ancrant d’abord son écriture dans un travail documentaire. «Je n’ai jamais abordé ce sujet avec mon cousin parce que, de toute façon, la situation dépeinte dans la pièce est typique de ce qui se passe dans beaucoup d’organisations, où le modèle est trop souvent encore celui d’un patron en situation de pouvoir qui profite d’employées hiérarchiquement inférieures. Et le plus souvent, ces femmes sont aussi des immigrantes dont la situation financière et le statut citoyen sont précaires, ce qui me préoccupe aussi grandement. Ces choses-là ne se produisent pas par hasard, il y a derrière cela des réflexes de colonisateur et de patriarcat qui définissent notre société et qu’il faut avoir le courage de questionner.»

Safdie revendique aussi une filiation avec Oleanna, l’une des meilleures pièces de David Mamet, qui met en scène une étudiante dans une lutte de pouvoir avec son professeur. Chez Mamet, l’accusation d’agression sexuelle arrive après des conversations très tendues dans lesquelles le professeur assoit son autorité sur l’étudiante en utilisant sa supériorité intellectuelle (lire à ce sujet mon entrevue avec Vincent Côté au sujet de la plus récente production montréalaise de ce chef d’œuvre de théâtre réaliste).

«Cette pièce, dit-il, m’a soufflé parce qu’elle crée chaque fois une division dans le public: certains sont du côté du professeur, d’autres sont du côté de l’étudiante, et c’est véritablement passionnant. En quelque sorte je veux poursuivre le travail de David Mamet. Oleanna était quand même campé dans une époque, c’est une pièce emblématique des relations de pouvoir entre hommes et femmes dans les années 1990. Les enjeux de harcèlement sexuel se déroulent aujourd’hui dans une société bien plus sexualisée qu’à l’époque, une société dans laquelle les femmes ont fini par banaliser la sexualité autant que l’ont toujours fait les hommes.»

Safdie n’est pourtant pas prude et loin de lui l’idée de jouer les moralisateurs. Il se dit lui-même un peu nudiste, d’ailleurs. «Mais j’ai un inconfort, explique-t-il, avec la manière dont le marketing récupère toute forme de nudité pour la placarder partout et surtout la manière dont tout cela s’infiltre dans la culture des enfants, des jeunes filles. Le pouvoir de la pub est grand et il a un impact certain sur la sexualité des jeunes, qui devient inconséquente, qui perd de sa signification et de sa grandeur.»

Comme le théâtre de Mamet, Unseamly repose sur une écriture reproduisant finement un langage cru et hyper-précis, au risque de choquer les oreilles chastes. «Ce sont des gens d’affaire et la manière dont ils parlent de sexe est choquante parce qu’elle est contaminée par le langage du commerce: il y a une marchandisation du sexe à l’œuvre dans leur discours, de manière inconsciente peut-être. Ils font ça de manière très naturelle, je suis dans cette pièce très soucieux de réalisme et de l’authenticité du dialogue.»

Alors, dans quel camp vous rangerez-vous?

 

Unseamly, une production Infinitheatre, est présenté au Bain St-Michel, 5300 St-Dominique, jusqu’au 9 mars 2014
Représentations en anglais