Me so you so me : Bain de culture kawaii
Scène

Me so you so me : Bain de culture kawaii

En provenance de Vancouver, la compagnie de danse Out Innerspace dépeint les négociations qui se trament au sein d’un couple dans Me So You So Me, une pièce vitaminée et divertissante dont les héros sont des adulescents férus de culture nippone.

Marier la danse contemporaine à la culture populaire, d’autres créations l’ont fait auparavant. Mais David Raymond et Tiffany Tregarthen de la compagnie de danse Out Innerspace ont réussi à concocter un patchwork très convaincant de leurs influences les plus diversifiées. La culture japonaise a la part belle dans Me So You So Me, imprégné par l’univers des samouraïs, par des personnages de mangas comme les Pokemon et Astro le petit robot, par les arts visuels nippons, par le Théâtre Nô, etc. La pièce égrène aussi des personnages occidentaux, entre autres Charlie Chaplin et des protagonistes de dessins animés tels que Wall-E et Mortal Kombat.

De ces références personnelles, David Raymond et Tiffany Tregarthen s’inspirent aussi bien pour l’imaginaire et l’esthétique que pour la gestuelle et les mimiques : À l’image de certains mangas où les personnages aux grands yeux tendent à passer d’une émotion à un autre sans transition aucune, Me So You So Me fait référence à des états d’âme très contrastés comme la joie, la colère ou la tendresse. Mobilisant jusqu’à leurs cils, les expressions amplifiées à outrance des visages blanchis des interprètes évoquent également le Kabuki.

La gestuelle déployée par David Raymond et Tiffany Tregarthen est remarquable par son inventivité et son exigence. Hétéroclite et acrobatique, voire circassienne, elle emprunte à la pantomime, à la danse contemporaine, aux danses urbaines et aux arts martiaux. Le phrasé du mouvement est parfaitement synchronisé avec la trame sonore du groupe expérimental Asa Chang & Junray, qui allie folklore japonais, électro, jazz, tabla indienne, trompettes et collage vocal. La musique très expressive, quasi cinématographique, s’accorde très bien avec le découpage du temps et de l’action inspiré du 7e Art, autre influence des mangas sur l’approche du corps dans Me So You So Me. Constituant à lui seul la scénographie, l’éclairage de James Proudfoot sur fonds noir joue un rôle essentiel dans cette décomposition temporelle et constitue par moments un formidable échiquier de lumière.

Musique captivante, gestuelle rafraîchissante, pléthore de pépites visuelles, Me So You So Me a tout pour plaire au plus grand nombre, et pas seulement aux amoureux de danse ou de mangas. Cependant, on peut regretter un certain manque de maturité. Souvent aux antipodes l’un de l’autre, les personnages semblent enferrés dans des stéréotypes de genre et évoluent peu tout au long de la pièce, qui se veut pourtant narrative. Certes, Me So You So Me baigne dans l’univers kawaii de tout un pan de la culture japonaise. Mais qui dit mignon, dit aussi enfantin. En fait, la troisième pièce d’Inner Outerspace illustre très bien l’adulescence, ce phénomène de l’interminable adolescence caractéristique de nos sociétés.