Fault Lines : Horreur désincarnée
Présenté comme un spectacle de danse contemporaine en hommage aux victimes de séismes, Fault Lines prend plutôt figure de ballet narratif dont le formalisme et la naïveté réduisent la portée artistique.
Plusieurs des spectateurs chinois présents à la première de Fault Lines (Lignes de faille) sont sortis de la salle à la fois émerveillés et bouleversés. Comme certains des 16 danseurs de la Leshan Song & Dance Troup, ils ont perdu des êtres chers dans le séisme qui a dévasté la province du Sichuan en 2008. Et c’est parce qu’elle a aussi vécu l’expérience d’un tremblement de terre dans sa ville natale de Christchurch que la chorégraphe néo-zélandaise Sara Brodie s’est engagée dans la rencontre interculturelle qui a abouti, en 2012, à cette création de 70 minutes. Les dimensions humaine et commémorative qui sont au cœur de l’œuvre en sont aussi la principale force.
Les danseurs, habituellement plus portés sur les danses traditionnelles, se sont prêtés au jeu des improvisations pour, nous dit-on, incarner les impacts physiques et psychologiques d’un tel drame. Virtuoses en totale maîtrise de leur art, ils intègrent avec brio une danse de forte inspiration classique, des enchaînements de tai chi, des sauts et mouvements d’arts martiaux et le raffinement de motifs folkloriques généralement discrets. Mais les lignes restent si pures et les visages si impassibles que l’on ne ressent ni la déstabilisation et la surprise des corps au moment d’une catastrophe naturelle ni la force des sentiments qui envahissent les êtres pendant et après l’événement. Et même si certains gestes et compositions évoquent la lutte pour la survie, le courage ou la solidarité, tout est trop littéral, voire didactique, pour toucher et convaincre un spectateur lambda.
Tout est souligné à grands traits dans cette création. Des informations factuelles sur les lignes de failles et les tremblements de terre sont affichées en trois langues sur fond noir tandis qu’un danseur les livre en langue des signes (réelle ou inventée?). Les ondes sismiques sont matérialisées par des projections et l’on va même jusqu’à figurer l’impossibilité de prédire les séismes par un énorme point d’interrogation. Par ailleurs, des symboles de la culture asiatique appuient certaines idées: un personnage de l’opéra chinois incarne la force du destin et peut-être aussi l’héroïsme, la résilience, tout comme les pyramides en tuiles de Mah Jong, détruites à mesure qu’elles sont construites. La rage face à l’injustice et au deuil s’exprime quant à elle par l’usage de grands pans de tissu blanc reliés aux cérémonies funéraires et qu’on arrache des cintres avec vigueur.
Malgré le fait que tout soit aussi figuratif, que tout nous soit dit, redit et surligné, il arrive que l’on cherche désespérément le sens d’une séquence. Comble de l’ironie. Et la musique a beau se développer parfois en dramatiques crescendo, l’électroencéphalogramme chorégraphique reste désespérément plat. Le langage universel de la danse ne rallie décidément pas tout le monde cette fois. Serait-ce le fait d’un trop grand choc culturel?