L’histoire des ours panda racontée par un saxophoniste qui avait une petite amie à Francfort : Neuf nuits sans fausses notes
Servie par un duo d’acteurs délicieusement complice et par une approche toute simple, tout en finesses, la mise en scène d’Édith Côté-Demers de L’histoire des ours panda dévoile ce qu’il y a de plus lumineux dans l’écriture de Matéi Visniec.
Il est rare que la tendresse, au théâtre, soit un moteur dramatique puissant: le piège de la sensiblerie y met trop souvent un frein. Mais L’histoire des ours panda racontée par un saxophoniste qui avait une petite amie à Francfort, de Matéi Visiniec, réussit à force de ludisme et d’onirisme là où tous les autres échouent. Pas étonnant que cette pièce, qui donne envie de tomber illico amoureux de la première venue, soit à ce point joué sur les scènes européennes. Il ne se passe pas une année sans qu’un grand nombre de productions de ce texte écrit en 1993 envahisse les scènes de France et de Belgique, mais elle a aussi eu son heure de gloire chez nous, d’abord en 2003 à Québec avec Véronique Côté et Hugo Lamarre, puis en 2005 à Montréal avec Isabelle Lamontagne et Stéphane Franche.
Cette fois, les acteurs qui s’apprivoisent au lit pendant neuf nuits d’amour et de tendres décalages sont un brin plus jeunes: Sonia Cordeau est la mystérieuse femme que Charles-Alexandre Dubé découvre près d’elle à son réveil un matin de gueule de bois. «Avons-nous fait l’amour?», lui demande-t-il. Elle ne lui répondra jamais, mais elle reviendra pendant 9 nuits pour répandre, mi-taquine mi-sérieuse, une bonne dose de légèreté, de lumière, de ludisme et d’amour dans sa chambre ombragée. Musicien accompli mais traversant une période de spleen, il ne pourra que s’accrocher à elle et se laisser entraîner dans l’univers de plus en plus onirique et irréel qu’elle lui propose.
C’est une pièce tendre, mais c’est surtout une pièce qui compare l’amour à la plus belle des évasions et qui en fait le plus vaste refuge contre un monde contraignant et formaté. De plus en plus débarrassés de leurs chaînes personnelles, Elle et Lui vont peu à peu oublier la logique du monde social pour flirter avec l’irrationnel. L’amour n’a rien de raisonné, et cette pièce secoue la logique cartésienne de nos amours pour propulser ces deux tourtereaux amusés dans un univers à part. Le saxophoniste va-t-il en sortir plus serein? La réponse est en partie laissée à l’imagination du spectateur.
Certains commentateurs voient parfois dans ce texte une réflexion sur la condition de l’artiste. Edith Côté-Demers n’a pas du tout orienté sa mise en scène vers cette lecture de l’œuvre ni vers un quelconque penchant social. Il n’y a ici que tendresse et ludisme, mais c’est pour le mieux, tant elle a dirigé son duo d’acteurs avec délicatesse, leur laissant visiblement tout l’espace requis pour développer une relation de complicité absolument authentique. Vieux amis, collègues de l’école de théâtre, Sonia Cordeau et Charles-Alexandre Dubé se connaissent sans doute bien. Ça paraît. Mais ils ont sans aucun doute été bien guidés dans la construction d’une relation très crédible entre leurs personnages. Ces deux âmes égarées, que le texte laisse volontairement anonymes et ambigües, évoluent ensemble vers un monde fantasmatique en ne se souciant pas de leurs rôles respectifs dans la vie extérieure. À travers une franche camaraderie et un plaisir évident du jeu, ils font fi de la réalité sociale qui, sans doute, serait trop décevante et inapte à accueillir leur lumineux amour.