Casteliers : Quand Montréal devient complètement marionnettes
Le festival Les trois jours de Casteliers s’ouvre avec Hôtel de rive, un spectacle du réputé marionnettiste allemand Frank Soehnle. Rencontre avec celui qui a réinventé la marionnette à fils, mais aussi avec Louise Lapointe, directrice artistique du festival, et Jocelyn Sioui, qui orchestre le OUF! festival, petit frère rebelle de Casteliers.
Frank Soehnle est un marionnettiste virtuose, l’un de ces prodiges que toutes les scènes du monde s’arrachent. Sa venue à Montréal pour la deuxième fois depuis 2009 a une portée événementielle: tout le monde, dans le très vivant milieu marionnettique montréalais, trépigne d’impatience. Il s’amène avec Hôtel de rive, une pièce inspirée d’une série de textes écrits par Giacometti lorsqu’il habitait une petite chambre d’hotel à Genève, pendant la Deuxième Guerre mondiale. C’est aussi dans cette petite chambre que le sculpteur a créé des œuvres miniatures, pas plus grosses qu’un carton d’allumette, lesquelles ont inspiré le marionnettiste.
«Le miniature, explique-t-il, ça a été pour moi une manière de réinventer la marionnette à fils en travaillant le micro-mouvement. Mais comme d’habitude, ce qui m’intéresse est de renverser les rôles et de faire en sorte que les fils ne soient pas des instruments de contrôle de la marionnette mais qu’ils servent de liant entre la marionnette et son espace. Le marionnettiste, dans cette vision des choses, est avant tout un partenaire. Il n’est pas exclus que la marionnette, parfois, domine son manipulateur et qu’elle envahisse son espace.»
Giacometti ne serait sans doute pas en désaccord avec cette idée. Toute ses œuvres, malgré l’importance des matériaux qu’il utilisait, sont déterminées par les espaces qui les entourent et fondées sur le rapport entre l’objet et son déploiement dans son environnement immédiat. «Il parle souvent de la mort, précise Soehne, ou de la manière dont l’âme de la personne morte finit par prendre possession de tout l’espace, par se répandre, par occuper tous les interstices. Ça fournit une opportunité de réfléchir à ce qui constitue le vivant – c’est une question fondamentale pour tout marionnettiste.»
Penché sur ses sculptures et ses textes, Giacometti travaillait dans une certaine solitude. On aime l’imaginer dans la douleur, mais le spectacle de Figuren Theater montre que ce n’était pas le cas. «Dans ses textes, il cherche des mots pour exprimer son rapport au réel, pour témoigner de sa vision du monde telle qu’elle se déploie dans son travail plastique et dans son rapport avec le surréalisme. Ça donne nécessairement des textes peu réalistes qui flirtent avec le monde des rêves, avec l’imaginaire, avec un regard abstrait et onirique sur la réalité, donc avec une certaine exaltation. C’est un monde accidenté, non linéaire, spontané, intempestif et hallucinatoire.»
Au menu du festival : des marionnettes incisives et poétiques
Le spectacle de Frank Soehne n’est pas la seule bonne prise de Louise Lapointe, directrice artistique de Casteliers. Les parents de jeunes enfants seront heureux de faire vivre à leur marmaille des après-midis d’enchantement scénique, mais le festival réserve aussi d’autres contenus costauds aux spectateurs adultes. À commencer par My big fat german puppet show, de Frank Meschkuleit, dans lequel une horde de personnages s’amusent à parodier l’actualité. «Il est marionnettiste depuis 30 ans, précise Louise Lapointe, et il a travaillé beaucoup au cinema et à la télévision. C’est évidemment un marionnettiste virtuose et, dans ce spectacle, il propose une décapante et hilarante satire sociale. C’est un grand artiste.»
Les marionnettes se font aussi plutôt cinglantes dans The house, de la danoise Sofie Krog. «C’est un thriller comique pour adolescents, explique la directrice artistique, et la pièce raconte l’histoire d’une vieille dame qui fait son testament et qui est envahie par de ratoureux personnages désirant profiter d’elle. Le voleur, le chien, le neveu et le notaire: tout le monde veut sa part du gâteau.»
On surveillera aussi Le pavillon des immortels heureux de Marcelle Hudon, une installation qui met en scène des automates activés par des basses fréquences. À voir aussi: Emmac Terre marine, un spectacle de danse et de marionnettes d’Emmanuelle Calvé, avec la musique de Jorane et des textes lus par Richard Desjardins. On vous en reparle d’ailleurs sous peu.
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Et du côté du OUF! Festival OFF Casteliers
Tout bon festival vient avec son débordant et indiscipliné festival OFF. Désormais, Casteliers n’échappe pas à cette règle. Dites merci à Jocelyn Sioui, de Belzébrute, et à Carl Vincent, du Théâtre Sous la tuque, qui ont imaginé le OUF! Festival avec la bénédiction de Louise Lapointe. Les spectacles du OFF sont programmés pendant les plages horaires vides du IN. Ainsi, tout le monde s’aime et tout le monde est heureux. Paix sur la terre comme au ciel.
Spontanéité et permissivité sont les mots d’ordre du OUF!, un festival qui présente des reprises mais surtout des laboratoires, en flirtant avec tous les genres marionnettiques.
«Je suis très proche de la mentalité du festival Fringe, dit Jocelyn Sioui, alors la programmation s’est construite de manière plutôt démocratique, en ouvrant la porte assez grande. Ce sera par moments très festifs, notamment avec mon spectacle Shavirez le tsigane des mers, qui est humoristique, épique et convivial, ainsi qu’avec Peckel et Roffel, du Théâtre Sous la Tuque, qui est une belle folie. Mais on accueille aussi des artistes qui désirent rencontrer le public pendant une étape de création, pour tester de nouvelles formes, et des spectacles très inventifs qui s’écartent de la marionnette traditionnelle, comme Le déchiqueteur, d’Anne Lalancette et Carl Veilleux. Il y aura du théâtre d’objets, de l’improvisation marionnettique, des courtes formes et des spectacles au long cours. Ce sera une fête dans laquelle sont conviés toutes les approches de notre art.»
Les détails de la programmation du OUF! Festival sont ici
ça donne envie d’y aller