Catherine Bourgeois / Avale : Un tigre en colère
Scène

Catherine Bourgeois / Avale : Un tigre en colère

Catherine Bourgeois est en colère. Avec un casting atypique, elle fait de la scène un territoire d’expression des petites hargnes du quotidien dans la pièce Avale.

Petit à petit, petit train va loin. Il y a cinq ans, le travail de Catherine Bourgeois était plutôt confidentiel et aucun théâtre établi n’aurait osé le présenter en tête d’affiche. Investie dans l’autofiction et dans un théâtre performatif qui fait fi de la narrativité traditionnelle, elle travaille aussi avec des distributions hors-norme: acteurs atteints de déficience intellectuelle, immigrants maîtrisant plus ou moins le français, acteurs mélangeant naturellement des langues, des styles et des corps qui se moquent des conventions théâtrales. Aujourd’hui, son regard unique et décalé sur l’existence est célébré et reconnu, de même que les qualités de présence de ses acteurs. «Le milieu a changé, dit-elle. Plus personne ne ressent le besoin de m’accoler des étiquettes. Et les gens ont bien compris la nature artistique de mon travail avec des castings atypiques. De mon côté, je continue de me heurter à de gros défis à travers tout ça, notamment en travaillant pour la première fois avec un comédien souffrant du syndrome d’Asperger.»

Avale est né quelque part en 2012 pendant que naissait le mouvement de révolte étudiante. «De manière très personnelle, explique la metteure en scène, j’ai eu besoin de manifester une colère accumulée depuis longtemps. Le timing était extraordinaire: je pouvais chaque soir sortir dans la rue pour extérioriser ma colère en tapant de la casserole. Ceci dit, le spectacle ne s’intéresse pas particulièrement à l’indignation sociopolitique – on explore la colère du quotidien, les frustrations de la vie qui suit son cours.»

Qu’est-ce qui vient en aval après avoir avalé autant? C’est la question qui a guidé le processus de création. «Le spectacle s’interroge sur notre manière d’être toujours politiquement correct, de ne pas sortir du cadre, de rentrer dans le rang, d’être plein de compassion. La colère est un sentiment mal vu dans notre société, mais c’est pourtant une société dans laquelle on est confronté à de nombreux petits irritants. Je m’intéresse à ces petites gouttes qui font déborder le vase, à ces minuscules prétextes qui deviennent propices à explosion.»

Ses personnages, coincés dans un minuscule appartement où ils ont vieilli ensemble dans une trop grande retenue émotive, finiront par exploser lorsque débarque le Tigre, un mystérieux personnage qui causera l’hécatombe. «La notion de confinement a été importante dans la construction du spectacle, mais aussi l’idée du vieillissement. Souvent, nos colères sont aussi liées à nos périodes de transition, entre deux âges, au moment où on s’aperçoit que nos vies ne correspondent pas à nos attentes.»

Mais surtout, la pièce se demande ce qui se passe après la colère. Les choses peuvent-elles vraiment changer simplement parce qu’on les a dénoncées? «J’aimerais vraiment que ce soit le cas, rigole Catherine Bourgeois. Mais on a découvert que, la plupart du temps, ce n’est pas parce qu’on pète sa coche qu’on modifie son comportement. Souvent, le lendemain, on remet nos mêmes vieilles pantoufles. La colère ne cause pas toujours de profondes remises en question. Souvent, elle reste en surface.»