Guillaume Corbeil / Tu iras la chercher et Cinq visages pour Camille Brunelle : Aller simple vers l'oubli
Scène

Guillaume Corbeil / Tu iras la chercher et Cinq visages pour Camille Brunelle : Aller simple vers l’oubli

Guillaume Corbeil continue de porter Cinq visages pour Camille Brunelle, un texte bardé de prix qui a été le moment fort de la saison dernière et qui revient à la demande générale, précédé de Tu iras la chercher, œuvre explorant les mêmes territoires.

En remettant le Prix du texte original pour la saison 2012-2013 à Cinq visages pour Camille Brunelle, l’Association québécoise des critiques de théâtre écrivait que «la pièce de Guillaume Corbeil apparaît indéniablement comme un texte important de la dramaturgie québécoise récente». Parue sous le titre Nous voir nous aux éditions Leméac, c’est en effet une œuvre très aboutie, qui donne aux phénomènes de mise en scène de soi et d’extimité une incarnation théâtrale implacable. La production, agilement mise en scène par Claude Poissant, mérite non seulement une deuxième vie, mais une longue tournée. Pour conquérir la planète, il faut commencer quelque part: c’est Montréal, encore, qui accueillera de nouvelles représentations du 26 mars au 5 avril.

C’est d’ailleurs loin dans le vaste monde que j’ai joint Guillaume Corbeil pour discuter de Tu iras la chercher, une courte pièce qui, en quelque sorte, complète Cinq visages en prolongeant ses thèmes dans un univers plus onirique. À Abidjan, où il est invité en tant que champion des Jeux de la francophonie (oui, oui), l’auteur dramatique évoque le texte que mettra en scène Sophie Cadieux pour clore ses trois années de résidence à l’Espace GO. «Dans Nous voir nous, les personnages se fabriquent eux-mêmes, très volontairement, une identité mensongère et spectaculaire pour appartenir à une société qui exige d’eux qu’ils incarnent des images parfaites et lissées. Ce mouvement se fait à l’envers dans Tu iras la chercher, alors qu’une femme se découvre une identité formatée qui lui semble extérieure à elle-même, qui semble lui être imposée par le monde qui l’entoure ou l’avoir contaminée.»

Pire, cette femme qui s’adresse à elle-même à la deuxième personne du singulier se découvre en tous points identique à ses semblables et aux personnages des publicités qu’elle feuillette dans les magazines. «Tu te demandes s’ils ne sont pas tous le reflet d’une seule et même personne / Répété encore et encore / Et si toi-même tu es un original ou une autre réflexion.» Peu à peu, le texte orchestrera une dépersonnalisation qui glissera vers l’onirisme, ou le fantasme. «Je pense qu’on peut parler d’un phénomène de dissociation, dit Guillaume Corbeil. C’est un personnage façonné par un spectacle qui lui est imposé et dans lequel elle ne se reconnaît soudainement plus. Elle partira alors à Prague pour se retrouver sur le pont Charles, où elle vit une expérience que l’on suppose fantasmatique.»

«Quand j’ai écrit ça, poursuit-il, je lisais Julio Cortazar. Ça explique l’aspect un peu plus onirique de l’écriture. J’étais en Argentine, d’ailleurs, et je me suis mis à être hanté par l’histoire de cette femme sur un pont, où elle pense que quelqu’un l’attend. Loin de s’en sentir libérée, elle devient prisonnière de ce nouveau rôle, celui de la mendiante sur le pont. Je voulais aussi en quelque sorte emprisonner le spectateur dans les mêmes rôles en écrivant à la deuxième personne: il s’agissait de mettre le spectateur dans une position de poursuite, de le faire courir après les images qu’on lui impose, courir après le rôle qu’on lui impose.»

La comédienne Marie-France Lambert se livre à cette involontaire chasse aux images. Un aller simple vers l’oubli de soi.

Tu iras la chercher, du 11 au 22 mars à l’Espace GO; Cinq visages pour Camille Brunelle, du 26 mars au 5 avril à l’Espace GO