Testament / Eric Jean, Jade Mariuka et Marilyn Castonguay : Une parole pour déjouer la mort
Scène

Testament / Eric Jean, Jade Mariuka et Marilyn Castonguay : Une parole pour déjouer la mort

Elle est partie dans le tumulte en ayant réalisé son rêve d’être écrivaine. La courte mais fulgurante vie de Vickie Gendreau continue de laisser des traces dans Testament, l’adaptation théâtrale du roman du même titre. Tête-à-tête avec les comédiennes Jade Mariuka-Robitaille, Marilyn Castonguay et le metteur en scène Eric Jean.

Elle était jeune, pas encore trente ans, et elle aimait la vie. Elle la vivait de manière excessive. Puis, elle a été stoppée net par un cancer du cerveau. Son histoire a ému tout le monde quand elle l’a couchée sur papier dans ce roman baroque et chaotique, écrit dans l’urgence par désir de «laisser une trace». Elle a été danseuse nue, elle le vivait presque comme un épanouissement, puis elle a été agressée sexuellement et a appris que ce cancer la rongeait. Il y eut, à la sortie de Testament, un engouement que très peu d’auteurs connaissent à leur première œuvre. Vickie Gendreau avait une voix unique, un souffle de parole puissant, une énergie d’écriture rare. Et son écriture, même si elle se cachait dans la forme d’un roman, est profondément théâtrale. C’est du moins le sentiment du metteur en scène Eric Jean qui a eu envie d’en faire un spectacle aussitôt la quatrième de couverture refermée.

«J’ai découvert Testament avant le buzz médiatique, par hasard en librairie. Je l’ai lu le soir même dans l’urgence, avec délectation, sans tout comprendre du premier coup. Mais j’ai été happé par son style, son irrévérence, sa poésie, par l’aspect très touffu de son écriture et par son urgence. Je trouve aussi que c’est structuré de manière théâtrale, à cause du relais des voix, qui est une forme déguisée de dialogue. Le coup de cœur a été assez fort pour que je lui écrive le soir même pour lui proposer une adaptation théâtrale. J’ai agi très impulsivement. Elle m’a répondu très vite. Je ne pouvais plus reculer.»

Sentant sa mort approcher, l’écrivaine donne dans le roman la parole à ses amis, dont elle imagine les réactions à sa disparition. Elle s’exprime aussi, de sa voix fragile mais habitée, racontant les strip-teases à Val-d’Or mais aussi l’amour tant espéré de la part d’un homme qui ne l’aime pas. C’est le roman déréglé, rythmé et fulgurant d’une jeune femme dont la vie s’est arrêtée en plein élan.

La comédienne Jade Mariuka-Robitaille trouve là son tout premier rôle professionnel depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre. Un beau cadeau. «J’ai trouvé, dit-elle, que c’était un beau petit chaos sur papier. Ça m’a plu, c’était fragmenté, déroutant, vertigineux. Je n’ai pas tout compris au début moi non plus, mais ça ne me dérangeait pas. C’est une écriture qui n’a pas toujours besoin d’être expliquée. C’est stressant de jouer cette parole, mais évidemment, je ne cherche pas à incarner Vickie. Le spectacle donne forme à son écriture, on n’est pas dans une démarche biographique.» 

Marilyn Castonguay, qui joue l’une des fidèles amies de Vickie, était sur le plateau de Tout le monde en parle le même soir que l’écrivaine. «Je n’avais jamais entendu parler d’elle, mais j’ai évidemment eu tout de suite envie de lire son roman. J’ai aimé la forme, très particulière, mais aussi sa manière crue de dire les choses, sans compromis et sans pudeur, sans concessions. C’est vraiment unique.»

Prendre le crachoir

Eric Jean travaille depuis plusieurs années des formes théâtrales autofictionnelles qui empruntent au concert rock: beaucoup de musique sur scène et des acteurs qui, jouant leur propre rôle ou s’amusant avec les frontières de la réalité et de la fiction, s’adressent directement au public dans un souci de témoignage. C’est un peu cette approche qu’il privilégie dans Testament, en la jumelant à un travail vidéographique réalisé par Jérémie Battaglia.

«C’est important de ne pas exagérer le personnage, pense Jade Mariuka-Robitaille. Vickie peut sembler exubérante, excessive, autant dans sa violence que dans son côté naïf et fleur bleue. Elle navigue dans les extrêmes. Elle est tout à la fois fragile comme une petite fleur et grandiose comme un volcan en éruption, comme une grosse bombe d’émotion. Elle est pleine de contrastes. Il ne faut pas le surjouer, il ne faut rien exagérer. Je n’ai d’ailleurs pas cherché à interpréter véritablement un personnage. On est dans un jeu de confusion entre la réalité et la fiction, c’est vraiment Jade qui arrive sur scène et qui s’amuse à flirter avec la vie de Vickie Gendreau, en puisant d’abord dans soi. Il n’y aura pas de caricature.»

Eric Jean cherche, de toute façon, à capter une énergie, un souffle. «C’est une fille qui s’adresse au monde. Qui a des choses à dire avant de mourir. On est dans une énergie de parole. De discours. D’urgence de dire. Le reste serait superflu, il ne faut pas jouer autre chose.» Marilyn Castonguay, en opinant du bonnet, ajoutera que «cette écriture-là, c’est de la vie brute. Il fallait surtout toucher à cette frénésie de vivre».

Y’a que l’amitié qui compte

Vickie Gendreau était une écorchée amoureuse. Elle était en quête d’un amour qui jamais ne venait à elle. Le roman, qui est aussi rythmé par les moments passés à l’hôpital à réfléchir sur soi, raconte quelques chapitres de cet amour brisé. Mais Vickie avait la chance d’être magistralement entourée d’amis sincères et lumineux, à qui ce roman rend un vibrant hommage sans trop placarder de bons sentiments. Marilyn Castonguay porte sur scène la parole d’Anna, l’une de ces amies qui cherchent le rôle à jouer dans la vie de Vickie à l’approche de sa mort. 

«Anna, dit-elle, est la plus sereine avec l’idée de la disparition de Vickie. Elle vit une peine et de l’incompréhension, mais pas de hargne, pas de colère. Elle réussit à installer du ludisme, de l’excentricité à l’approche de la mort. C’est une facette importante de Vickie, aussi, cette capacité à embrasser la vie dans son entièreté malgré le déclin, malgré la maladie. Anna veut continuer de faire vivre Vickie dans toute sa splendeur. Elle fait ce que Vickie aurait voulu: lui garder une place dans les cœurs, lui permettre de continuer d’exister un peu, de laisser un héritage, une trace.»

C’est aussi à cause de ce regard sincère sur l’importance de l’amitié qu’Eric Jean a imaginé un spectacle festif dans lequel les comédiens sont aussi musiciens et poussent abondamment la chansonnette. «Mes acteurs, au fond, forment un band maison. On va jouer des chansons que Vickie aimait: son meilleur ami Mathieu Arsenault m’a fourni une liste des 60 chansons qu’elle écoutait dans la dernière année et on a puisé là-dedans. La musique était importante pour elle. Ça crée aussi une notion de communauté autour de Vickie, c’est tout à fait dans l’esprit de sa vie et de son roman, qui donne la parole à ses amis.»

Ce ne sera pas une soirée funèbre. Car la vie de Vickie Gendreau ne mérite que célébrations.