EMMAC Terre marine : Pétard mouillé
Scène

EMMAC Terre marine : Pétard mouillé

Dans EMMAC Terre marine, Emmanuelle Calvé mise sur la multidisciplinarité et sur la poésie visuelle et sonore pour traiter du deuil et de la renaissance. En résulte une œuvre onirique à l’identité floue et qui ne parvient pas à déployer sa force. 

Formée en arts visuels avant de se diriger vers la danse contemporaine et la marionnette, Emmanuelle Calvé regroupe tous ses intérêts artistiques dans les œuvres qu’elle signe depuis 2007. Le rapport à la nature et au monde invisible qui marque son travail et qu’on retrouve dans EMMAC Terre marine est une résonnance de ses origines algonquines. Guidée par l’intuition dans une période de difficultés existentielles, elle a adapté pour cette œuvre le conte inuit de La femme squelette et nous raconte comment une jeune fille renaît à la vie et à elle-même après plusieurs années passées au fond des océans.

Pour ce faire, elle a créé un beau décor de Grand Nord avec le concours du scénographe Richard Lacroix, de l’éclairagiste Karine Gauthier et de Jean Cummings, qui a fabriqué les fabuleuses marionnettes qu’elle a conçues. Elle s’est aussi entourée de deux grosses pointures de la scène musicale: Jorane, qui signe la musique, et Richard Desjardins, qui livre en direct le long poème qu’il a écrit à partir du scénario de la jeune chorégraphe. Ajoutons les talentueux Jody Hegel et Jean-François Blanchard, danseuse et comédien transformés en très habiles marionnettistes, et l’on a tous les ingrédients pour une grande œuvre. Hélas, ici, le tout est loin d’être plus grand que la somme des parties.

C’est avec ses marionnettes que Calvé force l’admiration. Manteau de feutre que complète un visage de papier, peau de morse étalée sur le sol, gants en forme de nageoires… La plupart d’entre elles doivent être investies par l’ensemble du corps, créant parfois des créatures hybrides enchanteresses. Des grandes ailes d’oies sauvages sont montées sur bâton et tenues à bout de bras, tout comme les immenses mains qui dépouillent de ses oripeaux la femme sortie des eaux. Très réussies, les manipulations imposent un vocabulaire gestuel que la chorégraphe-interprète n’enrichit pas assez dans les séquences où la danse pourrait prendre de l’expansion et dynamiser le rythme de l’œuvre, se contentant généralement de mouvements quotidiens ou inspirés de danses tribales.

Il faut dire que le récit – écrit au «tu» et adressé au personnage par la voix grave et chaude de Desjardins – est si fort que la forme scénique fait plutôt figure de simple illustration. Superbe et inspirante, la complexité de la poésie impose une simplicité formelle qui frustre l’amateur de mouvement. D’autant plus que le ton monocorde de la narration et la musique planante de Jorane, qui évoque à merveille l’immensité océane et polaire, finissent par avoir l’effet soporifique du doux ressac de la mer.

Tout est beau dans cette œuvre, mais elle souffre d’un problème de rythme et d’équilibre des forces interdisciplinaires. Et le trop grand contraste entre la naïveté des images et la puissance du discours la place dans une zone bâtarde entre l’art et essai et le spectacle jeune public. Dommage.