Mayday Remix : Rééchantillonnage chorégraphique
Scène

Mayday Remix : Rééchantillonnage chorégraphique

Sa carrière est jeune, mais après avoir chorégraphié deux spectacles très remarqués, Mélanie Demers se sent déjà oppressée par le rythme de production effréné qu’impose notre industrie culturelle. Pour continuer à évoluer tout en ralentissant le rythme, elle a profité d’une résidence à l’Usine C pour inviter d’autres artistes à recomposer son précédent travail.

L’idée est originale. En danse, les grandes chorégraphies du répertoire sont généralement revisitées ou reprises à l’identique de nombreuses années après leur création. Si les artistes admettent volontiers leurs influences et construisent partiellement leur langage chorégraphique à partir de  références au travail des autres, il est rare qu’un créateur offre carrément son œuvre à d’autres pour qu’ils la déconstruisent et la réinventent. C’est pourtant l’idée un peu folle qu’a eue Mélanie Demers en invitant une chorégraphe, des metteurs en scène de théâtre, un vidéaste, un dj, une écrivaine et des performeuses à créer de nouvelles versions de ses pièces Junkyard/Paradise et Goodbye. Elle a convié une galerie alléchante d’artistes: Catherine Gaudet, Olivier Choinière, Catherine Vidal, Xavier Curnillon, Poirier, Catherine Leroux et Les Fermières Obsédées.

«Comme artiste, dit-elle, on peut se perdre dans la productivité exigée par le système de subventions et par le rythme des saisons artistiques dans lesquels nos spectacles sont programmés des années à l’avance. Ça peut menacer la spontanéité du travail mais aussi empêcher un artiste de travailler longuement sur une œuvre qui lui est chère et qu’il est invité à mettre de côté pour passer au spectacle suivant, attendu par les diffuseurs. J’ai voulu me sortir de cette logique en laissant des artistes que j’admire retravailler mes deux premiers spectacles, qui m’ont toujours paru imparfaits, chacun à leur manière. Je leur donne mes interprètes, je vais aussi moi-même danser pour eux dans certains segments, et l’objet qui en résultera portera les traces de la démarche originelle tout en constituant une nouvelle œuvre.»

Dans Junkyard/Paradise, par exemple, Mélanie Demers avait prévu flirter avec la beauté autant qu’avec l’ordure. Le spectacle final, par ailleurs très puissant, a rapidement basculé du côté du dépotoir et d’une vision sombre de l’humanité contemporaine. «J’ai échoué à explorer le paradis, se désole-t-elle. Mais heureusement, la metteure en scène Catherine Vidal va rectifier le tir. Elle récupère le spectacle en le tirant davantage vers la beauté et vers la lumière.»

Quand Olivier Choinière s’approprie Goodbye, il en accentue évidemment la réflexion sur la Société du spectacle. Celui qui déconstruit depuis des années les mécanismes du spectacle va mettre en lumière ce qui, dans Goodbye, témoignait de l’obsession de nos sociétés pour le divertissement. L’enjeu préoccupe aussi Mélanie Demers, mais Choinière ira sans doute plus loin qu’elle et, s’il ne délaisse pas totalement le corps, sa réincarnation de Goodbye va être impulsée par la parole.

Catherine Gaudet, elle, fera un remixage chorégraphique du travail de son amie, en restant proche de la partition tout en la colorant de sa touche personnelle et en la faisant interpréter par ses propres danseurs: Francis Ducharme et Caroline Gravel. Mais les plus grandes surprises risquent de venir de ceux qui ne sont pas à priori artistes de théâtre ou de danse, comme le dj Ghislain Poirier, qui a recomposé les pistes musicales des spectacles, ou l’écrivaine Catherine Leroux, qui propose un remixage littéraire. Le cinéaste Xavier Curnillon fait passer la danse du côté de la vidéo et le collectif Les Fermières obsédées va performer des versions certainement plus sales et moins disciplinées que les chorégraphies originales.

«À travers tout ça, dit Mélanie Demers, je pense qu’on va aussi questionner la notion de collaboration artistique et, qui sait, trouver des nouvelles manières de travailler, qui seront porteuses de nouveaux rapports au monde. Je trouve ce travail très fécond.»