Ignorance : Le bonheur est une inaccessible étoile
Scène

Ignorance : Le bonheur est une inaccessible étoile

C’est l’une des rares troupes albertaines à venir si souvent présenter son travail à Montréal. En provenance de Calgary, le Old Trout puppet Workshop est de retour avec Ignorance, une exploration amusée et vaguement anthropologique de notre inlassable quête de bonheur. Mais le spectacle est hélas trop superficiel.

De la compagnie fondée par le légendaire marionnettiste Peter Balkwill, on apprécie généralement l’humour très noir et très décalé. Ici, on ne le trouve guère. Il y a bien un certain cynisme, notamment remarquable dans le plaisir coupable avec lequel le narrateur du spectacle annonce que l’humain ne vivra que 14 minutes de bonheur dans sa vie. Mais cet amusement demeure plutôt bon enfant. Et même si cette pièce affiche de hautes ambitions en traquant la notion de bonheur jusque dans la préhistoire, elle n’offre pas de point de vue bien approfondi surla question. N’empêche, c’est un spectacle agréable et ses prémisses sont fécondes. Il sera toutefois rapidement oublié.

Peut-être cette superficialité dans l’approche du sujet réside-t-elle simplement dans le questionnement de base, trop vaste et, par le fait même, trop banal. Qu’est-ce que le bonheur? Pourquoi l’humain se lance-t-il si passionnément à sa quête? À des questions philosophiques aussi foisonnantes, on ne peut répondre par quelques scénettes amusées sur l’homme en quête de joie entre la Préhistoire et le monde moderne. À moins de le faire dans un ton particulier, à partir d’un point de vue extrême ou d’un angle inattendu.

Or, ce que propose le Old Trout est une sorte de recherche anthropologique, bien sommaire et un peu potache, qui rapproche l’homme de son ancêtre animal pour chercher dans l’ancestral comme dans le contemporain la source de la quête de bonheur inhérente à la nature humaine. On pourrait même dire que la démarche se rapproche de celle du célèbre zoologue Desmond Morris, auteur des livres Le singe nu et Le couple nu. La narration en voix hors-champ évoque d’ailleurs le ton d’un documentaire animalier (ce qui est assez bien vu). Se promenant entre un âge préhistorique teinté de mythologie biblique et la société moderne, le spectacle présente des personnages qui sont dotés de la capacité d’aimer et de trouver la joie mais qui n’y arrivent jamais, à mesure que la société se complexifie et les ramène à leurs pulsions cruelles.

Nous ne sommes finalement que des animaux. Le refrain est connu. Et c’est justement pour cette raison qu’un angle différent aurait été nécessaire pour sauver ce spectacle qui s’enfonce dans les lieux communs. C’est une entreprise marionnettique aux saveurs ludiques et peut-être ne faut-il pas en demander davantage. Mais parce qu’il est animé par une certaine prétention intellectuelle, le spectacle avait créé en nous des attentes plus élevées.

Aussi, il semble que la compagnie ait fait une démarche documentaire axée sur une longue discussion sur Internet avec des gens réfléchissant spontanément au bonheur. Pourquoi ne pas montrer davantage les traces de cette démarche?

Les marionnettistes du Old Trout sont toujours aussi inventifs et puissamment investis. L’utilisation des ombres chinoises doublée à des projections vidéo est brillante. Les personnages préhistoriques ont des visages grossièrement taillés et des mains vulgairement découpées dans une branche de bois: une image forte pour représenter le caractère ancestral de leurs émotions et leur rapport naïf à la notion de bonheur. Plus la pièce évoquera le monde moderne, plus elle présentera des marionnettes aux visages détaillés et expressifs. Mais jamais très souriants, car le bonheur est une inaccessible étoile.