As is (Tel quel) : As is (Tel quel) : Le coeur au bord du compacteur
Simon Boudreault nous invite à plonger au sous-sol de l’Armée du Rachat, où les poqués qui travaillent et rachètent leurs fautes, découvrent un nouveau Messie au nom de planète.
Com-pac-teur, compacteur, compacteur, com-pac-teur, compacteur, compacteur…
Saturnin se cherche un job d’été mais n’a pas d’expérience. À 20 ans, il a des études en musique classique derrière lui et un parcours en philosophie et politique devant. À l’Armée du Rachat – fortement inspirée par l’Armée du Salut, on le devine aisément -, il trouvera chaussure à son pied: un travail où l’expérience ne compte pas et où il faut être en mesure de travailler seul. À ce poste, Saturnin pourra méditer et réfléchir à ce qui fait «qu’on est une bonne personne». De ce poste, le jeune homme en viendra à remettre en question les règles et une hiérarchie incompréhensible, souhaitera améliorer l’efficacité du système et aider du mieux qu’il peut les autres, en restant positif et aimable. Ce qui ne manquera pas d’agacer ceux qui l’entourent et qui sont employés de l’Armée du Rachat depuis des années.
Dès le départ, le rythme est bon. Les scènes s’enchaînent au fil du dévoilement des personnalités de chacun, des aspirations de l’une ou l’autre, du rap à Pénis (Patrice Bélanger, joyeusement comique et vaillant) ou de la complainte de Diane, la fuckée de service (Geneviève Alarie, puissante), du disco à Tony (Denis Bernard, en contrôle et diabolique) ou de la rage à Richard (Félix Beaulieu-Duchesneau, franc et prisonnier de ses douleurs : une belle découverte), en désintox à l’étage. Mais bien vite, on se lasse un peu de ces présentations à tour de rôle propres aux comédies musicales, un brin maladroitement adaptée au théâtre musical qu’on nous propose. Il aurait été peut-être plus pertinent de mêler les dévoilements, resserrer les numéros musicaux. Oui, les interprètes donnent tout ce qu’ils ont, les trois musiciens (Michel F. Côté, Claude Fradette, Philippe Lauzier) sont talentueux et les harmonies sont porteuses de joies et de rages, mais les fausses notes au chant agacent, à la longue, et une plus grande fluidité dans l’enchaînement aurait permis de pallier à ces petits défauts.
Le texte de Simon Boudreault – qui signe aussi la mise en scène – est pourtant solide dans l’humour, mais inégal dans le drame. Boudreault creuse au fond du tas, au huitième sous-sol, pour y révéler l’absurdité de ce monde et le quotidien de ces travailleurs, dans cet univers où on tente de racheter ses fautes ou d’opter pour le don de soi. Si certains personnages, tel que Johanne la jeune mère (Catherine Ruel, unidimensionnelle et qu’on voudrait un peu plus sournoise) ou Suzanne la vétérante (Marie Michaud, sensible mais sous-utilisée), auraient mérités d’être mieux décortiqués, certains autres prennent un peu trop d’espace, As is. La complicité entre Richard et le jeune et innocent Saturnin (Jean-François Pronovost, parfaitement naïf) est bien intéressante, surprenante même, mais celle que le jeune musicien et philosophe développe avec Diane semble forcée, irréaliste.
Il faut pourtant noter la présence du personnage le plus important : le tas de cossins. Chapeau bas à la scénographie de Richard Lacroix et aux créateurs du décor qui est magistralement mis en valeur et sur lequel tous grimperont pour y trouver une parcelle d’eux-mêmes, pour ne pas se perdre. Le fameux tas de cossins de Saturnin est construit comme un véritable fort, comme une poutre de soutien à l’immeuble de l’Armée du Rachat qui, s’il en vient à disparaître, forcera l’implosion de toute cette belle gang de poqués de la vie, des «bruns» (les religieux) au dernier étage, en passant par l’administration, les «désintox», en descendant jusqu’au sous-sol où Saturnin trie ses cossins, seul, mais pas vraiment tout seul. Ce tas de cossins – cossins qui pourraient inspirer des artistes tel qu’Armand Vaillancourt ou Raphaëlle de Groot, qui ont fait du rapport à l’objet au quotidien le moteur de leurs oeuvres – devient alors magnifique, fourré de racoins et de beautés, de passages secrets et de souvenirs, comme cet album photo qui ne laissera pas Saturnin indifférent.
En bout de ligne, si on s’amuse ferme à l’arrivée de Saturnin, à son incompréhension de ce monde où le rachat est moteur du quotidien, son érection en Messie de l’Armée du Rachat reste confuse. Ce qu’on sait pourtant, c’est que le compacteur aura le dernier mot et que malgré tous les efforts déployés, être une bonne personne et changer les choses ne se fait pas qu’en un seul été.
Du 11 mars au 5 avril, au Théâtre d’Aujourd’hui.
À noter, la séance de Mouvements de foule du 18 mars, sous la thématique Charité et mécénat : une arme à double tranchant ?, avec Guillaume Hébert, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), Dany Michaud, directeur général de Moisson Montréal, et Xavier Inchauspé, docteur en philosophie, directeur général adjoint de Sibyllines-Théâtre de création et membre du comité artistique du Théâtre d’Aujourd’hui.