Descendance : Archiver le présent
Scène

Descendance : Archiver le présent

À travers le prisme de la famille se dessine souvent un diaporama de nos travers, de nos névroses et de nos médiocrités. Avec Descendance, Dany Boudreault et Maxime Carbonneau ont construit une famille autour d’un noyau fuyant.

Chaque Jour de l’An, les Therrien se réunissent dans la maison familiale pour célébrer la fin de l’année, ressasser les mêmes souvenirs et formuler quelques souhaits de bonheur. Chaque année, les Therrien traversent la soirée identiquement afin de se conforter dans les traditions et la nostalgie. Mais cette fois, c’est différent. Luc a acheté une caméra afin de créer des souvenirs pour l’enfant à naître de sa filleule. Surtout, il ne veut rien manquer de la Grosse Nouvelle qui ponctuera la soirée. Dès lors que le patriarche braque son appareil sur son clan s’amorce une déroute.

Écrite à quatre mains par Dany Boudreault (auteur de la pièce (e)) et Maxime Carbonneau – aussi à la mise en scène -, Descendance montre les difficultés et les stigmatisations du vivre-ensemble à travers les codes et les mécanismes d’une cellule familiale sur le bord de l’éclatement. Cette manie qu’ils ont de ressasser les mêmes anecdotes et d’échanger qu’à travers elles. Cette marotte de toujours vivre dans le passé et ne pas savoir construire le présent. Une famille, tout ce qu’il y a de plus normale quoi.

Divisée en deux parties bien distinctes, la pièce s’amorce avec le déroulement de cette soirée du Jour de l’An réglée comme une horloge. L’arrivée des invités, les retrouvailles, le karaoké, le concours de lasagnes, le repas, les jeux et les souhaits. Tout se déroule comme d’habitude jusqu’à ce que la nièce Julie annonce son départ pour rejoindre le père de son enfant en Égypte. Cela a pour effet d’ébranler les fondations du fragile édifice familial. Surtout lorsque la grand-mère Alzheimer supplie Julie de fuir avec elle. Sans elles, plus rien ne tient. Sous l’oeil de la caméra, la vérité du drame familial devient factice, manipulée, documentaire.

Plus lourde et trop bavarde, la seconde partie est l’occasion pour les Therrien de réécrire leur histoire. Avant de rompre la soirée sur les douze coups de minuit, ils décident tout bonnement de visionner les scènes qui viennent à peine d’être tournées. Sont alors projetées les images scénarisées par Stéphane Lafleur et réalisées par Jérémie Battaglia. À travers elles, les personnages se révèlent tour à tour et dévoilent leur vérité, à la lumière du morcellement familial annoncé. Pris indépendamment, la vidéo remixée et chaque monologue se tiennent. Mais mis ensemble, c’en est trop. Les Therrien révèlent presque tout: leurs rapports incestueux, leurs peurs, leurs lubies, leurs fantasmes, leurs rêves. Les zones d’ombre s’éclairent et ne laissent rien à l’interprétation. Il y avait pourtant là plusieurs noeuds à défaire.

Malgré cela, le tandem d’auteurs arrive à soulever des questions porteuses que la seconde partie n’a pas réussi à éteindre. Défendus avec coeur par une solide distribution (Martin Faucher est brillant, Louise Turcot, lumineuse et Rachel Graton, rafraîchissante), les dialogues de sourds de la famille Therrien sont à la fois punchés, rythmés et révélateurs. Mais c’est à travers leurs silences qu’ils révèlent leurs plus profonds malaises. Qu’est-ce qui nous lie les uns aux autres? Si on faisait table rase sur nos souvenirs et notre passé – comme cette fichue Alzheimer – que resterait-il pour nous souder les uns aux autres? Bien peu de choses, semble-t-il.