Testament : Une fête à la mémoire de Vickie Gendreau
Scène

Testament : Une fête à la mémoire de Vickie Gendreau

On peut reprocher à Testament, adaptation théâtrale du roman du même titre, d’en faire trop pour cultiver une image branchée et festive, pour un résultat superficiel. Mais l’esthétique de concert pop qui traverse la représentation est plus signifiante qu’elle en a l’air.

C’est un spectacle finalement très proche des mots, de la littérature, du souffle de parole qui traverse le roman Testament, œuvre-choc et hautement médiatisée de la regrettée Vickie Gendreau. Sur une scène jonchée d’instruments de musique, dépliée devant un vaste écran fenestré, la comédienne Jade Mariuka-Robitaille (toujours juste) donne vie aux mots de l’écrivaine et incarne sa vigueur de vivre sans sombrer dans l’excès. À ses côtés, une horde de jeunes comédiens se succède pour porter les mots que l’auteure imagine dans la voix de ses amis les plus proches ou pour chanter avec elle l’une des pièces qui inspiraient l’ex danseuse-nue.

Certes, le metteur en scène Eric Jean ne se réinvente pas avec cette mise en scène: il travaille depuis quelques années cette forme très pop et très frontale, multipliant les prises de parole au micro et abusant du pouvoir émotif de la musique. Son travail évoque aussi celui de quelques metteurs en scène français en vogue, comme Julien Gosselin, David Bobee et Hubert Colas (je pense au spectacle Le livre d’or de Jan), tout comme on peut y voir des résonances avec le travail du Montréalais Frédérick Gravel, en version plus léchée et plus optimiste, ou au travail récent de l’Ottavien Pierre-Antoine Lafon Simard. Mais la chose est dans l’air du temps et il ne s’agit pas ici d’un bête copier-coller du travail des autres. Si cette esthétique est si souvent déployée, c’est qu’elle correspond à un état d’esprit propre à notre époque. Dans le cas qui nous occupe, il me semble qu’elle traduit efficacement le souffle de toute une génération (les Y), même si elle tend à enjoliver un peu trop les choses.

Habituée de voir la vie en fragments, d’interagir par bribes et par différents canaux de communication, souvent par le filtre des écrans, dans une certaine rapidité, mais pas pour autant dans la totale vacuité, cette génération épouse un rythme de pensée et d’existence que le spectacle dévoile avec à-propos. La représentation épouse un rythme hachuré et nerveux, tout en étant traversé par des vidéos englobantes montrant Vickie sur fond blanc, en train de se peindre de noir ou de faire une chute libre. L’image est travaillée, épurée: elle évoque un peu trop le vidéoclip pop ou les images aseptisées de la pub, mais elle rend justice à la beauté du personnage et en célèbre ainsi la jeunesse et la vigueur. Pourquoi pas.

C’est une génération certes cynique, et le roman en témoignait davantage que le spectacle, mais c’est une génération malgré tout créative et allumée, ce que le spectacle affirme plus fort que le roman. L’équilibre est brisé, mais pas au point de dénaturer l’œuvre. Le rôle de la musique est d’ailleurs de placer Vickie dans un écrin artistique fort, pour contrer les affres de la maladie. Contrairement à ce que j’ai pu lire ailleurs, il m’a semblé que, en plus de créer autour de la mémoire de Vickie un appréciable climat de festivités, la trame sonore construisait aussi subtilement un certain réseau de sens. Quand on s’y attarde, on découvre que les paroles de certaines chansons font écho au propos de la pièce, peut-être involontairement, en abordant les amours déçus, la maladie, le besoin d’évasion.

Vickie était toutefois critique, dans son roman, de la futilité du monde et elle lançait un cri de rage contre l’absurdité et l’injustice de la vie. Il est vrai que le spectacle néglige cette dimension du texte et que le cynisme de bon aloi qui caractérise l’écriture de la jeune femme n’est aucunement représenté. Le spectacle insiste sur la joie qui, sans doute, a précédé cette désillusion et qui se ressent dans l’écriture. En résulte une pièce un brin trop naïve, mais tout de même fort appréciable.