Festival Temps d’images : Le monde est numérique
Temps d’images, le petit festival qui croise avec maestria le théâtre, la danse, le son et les écrans, nous revient tous les deux ans et, chaque fois, il nous a beaucoup manqué. Regard sur une édition marquée par une nouvelle œuvre de Marie Brassard et par de la belle visite française.
Dépassant le simple rapport entre le corps et l’image écranique, c’est à un frottement entre l’humain et un univers numérique immersif que nous invitent les Français Adrien Mondot et Claire Bardainne. Dans Hakanai, les spectateurs s’installent autour d’un cube de tulle blanc sur lequel défilent des lettres et des chiffres, entourant le corps d’une danseuse dont le corps sera traversé par les images. Jouant avec les chiffres et les rayons comme avec des sculptures lumineuses, la danseuse évolue dans un monde onirique et poétique, un univers d’abstraction qui déroute nos perceptions.
C’est l’un des spectacles attendus lors de cette édition de Temps d’images, en grande partie dévolue à la scène française, où il se crée bon an mal an une quantité grandissante de créations aux frontières du numérique, du cinéma et du spectacle vivant. Des artistes comme Ruth Rosenthal et Xavier Klaine, qui s’amènent avec leur pièce Jérusalem plomb durci, fraient aussi avec le documentaire. Issus du milieu de la musique (ils forment le duo Winter Family), ils fraient pour la première fois avec le théâtre, dans ce spectacle qui observe le nationalisme israélien d’un œil critique à partir d’images tournées à Jérusalem et de textes énoncés par Rosenthal, sur un fond musical empruntant les sons de la ville sainte. Peu à peu, le spectacle expose la fabrique du conditionnement et montre l’aveuglement de tout un peuple devant les excès militaires, en exposant la manière dont la propagande arrive à manipuler la mémoire collective. C’est pour le moins percutant.
On verra aussi une performance lo-tech de Frédéric Ferrer, À la recherche des canards perdus, qui s’inspire d’une «expérience réalisée par la NASA et visant à mesurer le réchauffement climatique grâce à 90 canards jaunes en plastique lâchés dans l’Arctique». S’accompagnant d’une simple présentation PowerPoint, le spectacle est décalé et ludique, mais aborde les très sérieuses inquiétudes du monde devant la planète en marche vers son déclin. C’est aussi le sujet de Sea Sick, de la Canadienne Alanna Mitchell, une journaliste scientifique qui propose la version scénique d’un essai dans lequel elle explique «comment l’océan mondial est aux prises à de vastes changements chimiques».
Les fidèles de l’inclassable et incontournable travail de Marie Brassard, eux, se réjouiront de découvrir Moving in this World, une cocréation avec la danseuse et chorégraphe Sarah Williams. Ne délaissant pas son obsession pour les réalités invisibles et les univers oniriques, Brassard s’est intéressée aux corps intoxiqués, en transe, et aux états de conscience altérée qui engourdissent le corps mais exaltent l’esprit.
«On a commencé en observant des gens, dit-elle, et en regardant des films, pour comprendre comment le corps se comporte quand il est en état de transe ou dans un état second. On s’intéresse donc à l’image des corps intoxiqués, telle que perçue par les autres, à travers le mouvement lent, l’engourdissement, comme si le corps bougeait très minimalement. C’est un magnifique paradoxe: le corps semble vide, mais à l’intérieur de l’esprit de la personne il y a un monde d’images foisonnantes et des perceptions hallucinées du réel. C’est ce qu’on essaie de montrer sur scène. C’est un spectacle qui montre les hallucinations, tout comme il montre le corps en apesanteur.»
Puisant autant dans leurs expériences personnelles que dans une démarche documentaire exhaustive, Brassard et Williams évoquent autant les hallucinations causées par les drogues psychédéliques que par les rituels exercés par certaines communautés africaines ou que par les rites bouddhistes qui, suivant les préceptes du livre des morts tibétains, «permettent de se déplacer dans le monde des morts, de choisir une nouvelle incarnation ou d’atteindre le nirvana».
Seule en scène, Sarah Williams évolue au milieu des projections de l’artiste Sabrina Ratté, «une vidéaste qui fabrique des images synthétiques pouvant rappeler les images psychédéliques des années 1970, mais dans un style contemporain unique». «Ce sont des projections simples, précise Marie Brassard. Sabrina travaille avec une technologie aujourd’hui obsolète, mais elle arrive à créer des images extrêmement modernes avec cette technologie d’un autre temps. C’est l’addition de ces technologies de différentes époques qui crée un objet singulier.»
Du 4 au 10 avril
À l’Usine C